Exporter l'État de droit
Créé en 2002, l'organisme Avocats sans frontières
Québec est déjà actif dans trois pays
Le 25 septembre dernier, une cour d'appel islamique du Nigeria
a acquitté Amina Lawal, une mère de famille divorcée
précédemment condamnée à la peine
de mort par la lapidation pour avoir eu un enfant hors mariage.
Cette décision a été accueillie avec beaucoup
de satisfaction par Pierre Brun, de l'étude Grondin Poudrier
Bernier à Québec et membre d'Avocats sans frontières
Québec (ASFQ), une antenne d'Avocats sans frontières
France. De concert avec deux juristes françaises, il avait
conseillé l'avocate de l'accusée. Par la suite,
l'une des juristes et lui avaient participé, comme procureurs,
à la défense de l'accusée avec un avocat
local parlant la langue haussa. "Nous avons fait reconnaître
que l'enfant ne constituait pas une preuve admissible, explique-t-il.
Ce fut un grand pas en avant dans le respect de l'État
de droit dans ce pays."
Le mercredi 28 janvier, Pierre Brun a donné une conférence
au pavillon Charles-De Koninck sur le travail "alternatif"
des juristes d'Avocats sans frontières. Fondé en
2002 à Québec par trois diplômés en
droit de l'Université Laval, ASFQ est un organisme sans
but lucratif regroupant quelque 150 juristes bénévoles
d'un peu partout au Québec. La plupart sont avocats, certains
sont étudiants en droit. Depuis ses débuts, ASFQ
intervient, en partenariat avec Avocats sans frontières
France, dans des pays en voie de se structurer sur le plan juridique.
En plus du Nigeria, ils sont présents en Afghanistan et
en Colombie. Et ils le seront bientôt en Sierra Leone.
"Nous sommes une ONG qui a comme objectif de lutter contre
l'impunité, indique Pierre Brun, cofondateur d'ASFQ. Nous
nous rendons dans des endroits où les gens n'ont pas accès
à la justice, à un avocat, à une défense
pleine et entière. Avec des avocats locaux, nous essayons
de faire en sorte que les citoyens auront accès à
des moyens de défense qui vont respecter les droits et
libertés fondamentaux."
Une notion embryonnaire
Les membres d'Avocats sans frontières se concentrent
principalement sur des pays où existe une volonté
politique et sociale de développer un État de droit.
Le Nigeria, par exemple, est une ancienne colonie anglaise, sortie
d'une dictature militaire en 1999, et qui se tourne progressivement
vers la démocratie. Dans ce pays, l'État de droit,
qui commence à s'instaurer, est donc fragile. "Comme
juristes, soutient Pierre Brun, nous sommes certainement en mesure
d'aider les Nigérians à concevoir un état
de droit qu'ils ajusteront à leurs propres valeurs."
Cela dit, beaucoup reste à faire. Au Nigeria, la profession
d'avocat est surtout axée sur le développement
des affaires. "Dans un pays développé, poursuit
Pierre Brun, nous avons la jurisprudence, la doctrine, les précédents,
des documents, Internet, etc. pour nous aider dans notre tâche.
Mais dans ce pays, il est difficile d'avoir accès aux
textes de loi, à la jurisprudence. Des tribunaux ont rendu
des décisions? On ne peut pas les avoir par écrit.
Dans le cas d'Amina Lawal, je n'ai toujours pas reçu de
jugement écrit."
ASF Québec et ASF France poursuivent leur action au Nigéria.
Ensemble, les deux ONG envisagent la mise sur pied prochaine
de forums sur des éléments didactiques concernant
la charia, la loi islamique, et sur des éléments
relatifs au droit constitutionnel. ASF Québec, pour sa
part, entend s'impliquer dans quelques cas de personnes condamnées
à la mort par lapidation ou à l'amputation, en
vertu de la charia. En Afghanistan, les talibans avaient brûlé
les textes de loi. Québécois et Français
participeront au renforcement de la profession d'avocat dans
ce pays. En Colombie, le contexte de conflit armé fait
en sorte que les avocats sont victimes d'une stigmatisation de
leur rôle et de violences pouvant aller jusqu'à
l'assassinat. Les mesures envisagées par les deux ONG
comprennent la mise sur pied d'un réseau de solidarité
entre les juristes.
YVON LAROSE
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