
Le diable au corps
Des patients du Centre hospitalier Robert-Giffard
se libèrent par l'art
«Cette personne a le diable au corps», «elle
est possédée par le diable», voilà
comment on qualifiait souvent par le passé ceux et celles
qui souffraient de maladie mentale. Vincent et moi, le
programme d'accompagnement s'adressant à ceux qui reçoivent
des soins psychiatriques au Centre hospitalier Robert-Giffard
affilié à l'Université Laval ou dans la
communauté, a décidé de prendre ces expressions
au pied de la lettre. Dans les oeuvres présentées
jusqu'au 13 février à la Salle d'exposition du
pavillon Jean-Charles-Bonenfant, les artistes de ce groupe exposent
leur vision d'un corps souvent malmené. Des textes reliés
aux tableaux et des objets en lien avec les traitements psychiatriques
d'hier et d'aujourd'hui complètent l'exposition.
«Dans l'imaginaire collectif, on colporte souvent des images
de fous grimaçants ou enchaînés», remarque
François Bertrand, le responsable de Vincent et moi.
Selon lui, les personnes aux prises avec la maladie mentale portent
cet héritage, même si les traitements actuels ont
contribué à réduire les effets de certaines
pathologies. Dans l'exposition, la présentation de certains
objets venus d'un passé récent, comme ce crucifix
utilisé pour les exorcismes de ceux qu'on pensait possédés
ou cet appareil servant aux électrochocs, rappelle le
chemin parcouru depuis la découverte de médicaments
comme les neuroleptiques. «Même si aujourd'hui les
corps ne subissent plus les électrochocs, ils gardent
parfois les traces de l'enfermement dans un édifice comme
celui de Robert-Giffard, ou des effets secondaires provoqués
par les médicaments», remarque le psychologue.
Des peintures troublantes
Sur le dyptique de Julie Bellemare, une des artistes de Vincent
et moi, des fils transpercent une main au tracé naïf,
tandis que l'autre a un aspect invitant. De son côté,
Yvan Bouchard dessine une femme de profil, sans aucune expression,
car deux ronds noirs remplacent ses yeux. Un peu plus loin, le
dessin à l'encre de Jean Lapointe replonge le public dans
le proche passé des hôpitaux psychiatriques alors
que certaines salles ne contenaient que quelques chaises berçantes
appuyées contre le mur; deux rangées de personnages
se font face sur leur berceuse, tous enfermés dans leur
monde. Plusieurs textes tentent également de traduire
cette souffrance en mots. L'auteure Esther Croft, qui a longtemps
enseigné la création littéraire à
l'Université Laval, plusieurs de ses élèves,
ainsi que l'écrivain Roland Bourneuf témoignent
par écrit de leurs réactions devant les toiles
ou s'expriment sur la question du corps et de la folie.
François Bertrand profite également de l'exposition
pour présenter une oeuvre symbolique sur sa vision de
l'enfermement. Une porte d'isolement en bois massif, tout ce
qu'il y a de plus véritable, pend du plafond. D'un côté
du panneau, un gilet de contention représente un patient
contraint à rester bouclé tandis que, de l'autre
côté, la camisole a les bras levés en signe
de libération. Une mosaïque de milliers de pilules
compose un paysage sur la porte. Une prise de position promédicaments
du concepteur? «Je suis conscient que la médication
est difficile pour beaucoup de patients, car cela les oblige
à reconnaître leur maladie et entraîne beaucoup
d'effets secondaires, reconnaît-il. Cependant, le traitement
les aide aussi à garder un contact avec la réalité.»
Les étudiants vont avoir l'occasion justement de se frotter
à ce monde puisque des ateliers réunissant des
étudiants de l'École des arts visuels et des artistes
de Vincent et moi commencent le 22 janvier.
PASCALE GUÉRICOLAS
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