
Régénération spontanée
La solution à une énigme qui entourait
la tyrosinémie héréditaire ouvre la porte
à une nouvelle piste de traitement
La tyrosinémie héréditaire est une maladie
qui prend différents visages. Sous sa forme aiguë,
elle cause de graves dommages qui peuvent mener à une
défaillance du foie et au décès avant l'âge
d'un an. Sous sa forme chronique, elle apparaît plus tardivement
et frappe les reins et le foie, provoquant des cancers hépatiques
chez plus de 40 % des malades avant l'âge adulte. Étonnamment,
la forme qu'épouse cette maladie est sans lien avec la
mutation - il en existe plus de 40 qui entraînent cette
maladie - en cause dans chaque cas.
L'explication alors? Des chercheurs de la Faculté de médecine
ont leur idée là-dessus. Les différentes
intensités de la maladie seraient attribuables à
un mécanisme de correction spontanée de l'anomalie
génétique qui s'exprime à divers degrés
d'un malade à l'autre! Dans un récent numéro
de Human Pathology, Sylvie Demers, Pierre Russo, Francine
Lettre et Robert Tanguay rapportent avoir observé une
réversion de la mutation chez 88 % des 26 enfants tyrosinémiques
à qui il a fallu prélever le foie entre 1988 et
1997, à l'Hôpital Sainte-Justine de Montréal.
"À ma connaissance, aucune autre maladie n'affiche
des taux de réversion aussi élevés",
soutient Robert Tanguay.
La surface du foie qui montrait des signes de réversion
variait d'un modeste 0,1 % jusqu'à un surprenant 85 %.
"Les patients qui présentaient une plus grande surface
de réversion avaient des symptômes moins sévères
que les autres", souligne le chercheur. En moyenne, le taux
de réversion chez les victimes de la forme aiguë
ne dépassait pas 2 % alors qu'elle atteignait 36 % chez
les malades chroniques.
La probabilité qu'une réversion survienne au site
exact de la mutation et qu'elle restaure la fonction originale
d'un gène est extrêmement faible, mais elle n'est
pas nulle, insiste le chercheur. Le phénomène commence
probablement in utero et comme les cellules saines croissent
plus vite que les cellules malades, elles parviennent, par sélection
positive, à recoloniser partiellement le foie. "Les
cellules saines aident le foie à fonctionner normalement
alors que celles qui ne connaissent pas de réversion deviendront
cancéreuses avec le temps, avance Robert Tanguay. Si on
parvenait à comprendre les mécanismes qui sont
en cause, on pourrait favoriser le mécanisme de réversion
dans le foie des malades. C'est ce que nous tentons de faire
présentement chez la souris."
Filière anti-oxydant
L'équipe de recherche de la Faculté de médecine
explore également une autre piste de traitement. Dans
le numéro d'octobre de Médecine Sciences,
Anne Bergeron, Rossana Jorquera et Robert Tanguay avancent que
la tyrosinémie est causée par l'accumulation de
métabolites causant des dommages de type oxydatifs dans
la cellule. "Si notre hypothèse est juste, on pourrait
améliorer la condition des enfants malades en leur faisant
consommer beaucoup d'agents anti-oxydants, comme les vitamines
C et E retrouvées dans les fruits et les légumes
ainsi que dans les suppléments alimentaires. Nous avons
ainsi réussi à faire vivre pendant 17 jours des
souris tyrosinémiques qui, autrement, meurent 10 heures
après leur naissance", rapporte Robert Tanguay.
La tyrosinémie héréditaire frappe 1 personne
sur 100 000 à travers le monde et 1 enfant sur 16 000
au Québec. La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean
détient la triste première place mondiale avec
un cas par 1 846 naissances.
JEAN HAMANN
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