
Information, téléréalité
et radio-poubelle
La qualité de l'information s'est accrue
depuis une vingtaine d'années au Québec. Mais le
milieu journalistique accuserait plusieurs faiblesses.
Nombre insuffisant d'enquêtes journalistiques, manque
de créativité des dirigeants des réseaux
de télévision, amincissement de la frontière
entre la fiction et l'information, les critiques n'ont pas manqué,
le 12 janvier dernier, lors du débat public qui s'est
tenu au Musée de la civilisation dans le cadre de la série
"Participe présent". Ce débat posait
la question: les Québécois sont-ils mieux informés
qu'il y a 20 ans? Les échanges ont été houleux
et les prises de position mordantes chez les quatre invités
de la journaliste Françoise Guénette, soit Guy
Fournier, Florian Sauvageau, Philippe Lapointe et Benoît
Dutrizac.
D'entrée de jeu, la plupart ont affirmé que la
qualité de l'information s'était accrue depuis
20 ans, notamment en raison des codes de déontologie,
de la professionnalisation du métier de journaliste et
des moyens dont disposent aujourd'hui les salles de nouvelles.
Malgré cela, tous s'accordent sur plusieurs faiblesses.
Le vice-président information et affaires publiques au
réseau TVA, Philippe Lapointe, a souligné la paresse
intellectuelle qui règne dans le milieu et les trop rares
enquêtes journalistiques. Quant à Guy Fournier,
président de l'Académie canadienne du cinéma
et de la télévision, il a déploré
le peu d'investissement en recherche des réseaux de télévision
ainsi que le manque de créativité de leurs dirigeants.
Benoît Dutrizac, coanimateur de l'émission les Francs-tireurs
à Télé-Québec, a décrié
la pauvreté des bulletins télévisés
tout en critiquant vigoureusement les actualités de TVA
et de TQS. "Nous n'entendons jamais parler d'environnement,
de santé, d'éducation", s'est-il indigné.
Pour sa part, Florian Sauvageau, professeur au Département
d'information et de communication à l'Université
Laval, a tenu à rappeler que le journal reste le meilleur
média pour s'informer, compte tenu de ses ressources et
de sa mission exclusive d'information. Quatre-vingts journalistes
travaillent au Soleil contre 35 à TQS, a-t-il mentionné
à titre d'exemple.
À l'ère de l'information spectacle
Sur la question de la concentration des médias, Florian
Sauvageau et Benoît Dutrizac ont dit percevoir un conglomérat
tel que Power Corporation comme une menace à la diversité
des contenus et à la liberté de presse. Guy Fournier
et Philippe Lapointe, eux, y voient plutôt un apport financier
essentiel. "Si les journaux étaient indépendants,
ils tireraient tous le diable par la queue comme Le Devoir",
d'affirmer Guy Fournier. Quant à Florian Sauvageau, il
a souligné à quel point la promotion croisée
de Québecor (Journal de Montréal, TVA, Vidéotron)
lui avait donné la force de frappe nécessaire pour
faire de Star Académie le succès que l'on connaît.
Le professeur trouve aberrant qu'en avril dernier, le bulletin
d'informations de TVA et le Journal de Montréal
aient fait une large place au phénomène Star Académie
au moment même où la guerre en Irak faisait rage
et que se tenaient les élections provinciales. "On
a perdu le sens profond des médias, outils premiers de
la démocratie. Le Québec est malade de la télé
et du vedettariat", a soutenu Florian Sauvageau. Benoît
Dutrizac a renchéri en faisant remarquer que la frontière
entre fiction et information devenait mince et qu'on assistait
à une confusion des genres. Lorsque ce dernier s'en est
pris à une émission comme Loft Story, Guy
Fournier l'a accusé de mépriser les gens et a fait
valoir que le phénomène de la téléréalité
augurait la démocratisation de la télévision
puisque désormais le téléspectateur avait
voix au chapitre.
Le phénomène de la "radio-poubelle" a
aussi été abordé et Dutrizac a souligné
d'emblée l'ironie de tenir un débat sur les médias
à Québec, là où un animateur comme
André Arthur jouissait d'un large auditoire. Florian Sauvageau
s'est demandé jusqu'où pouvait aller la liberté
d'expression. Selon lui, la démagogie et la diffamation
dont usent si souvent Arthur et Jeff Fillion ne méritent-elles
pas qu'on les fasse taire?
ANNE-MARIE LAPOINTE
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