
Québec, cité de l'anti-embouteillage
La région de la capitale nationale vit encore dans
la logique des années 1970, alors que l'étalement
urbain constituait le mode de développement par excellence
Il n'est pas très difficile de se rendre au travail dans
la région de Québec, tandis que les citoyens des
autres villes de l'Amérique du Nord affrontent des embouteillages
cauchemardesques. De plus, on y emprunte de plus en plus sa voiture
pour aller travailler puisque les femmes, qui circulaient autrefois
en autobus, renoncent de plus en plus à ce type de transport.
Voilà les principales observations qui ressortent d'un
article d'une équipe du Centre de recherche en aménagement
et d�veloppement (CRAD), récemment paru dans la revue Professional
Geographer. Marie-Hélène Vandersmissen, du
Département de géographie, Paul Villeneuve et Marius
Thériault, du Département d'aménagement,
ont notamment constaté qu'en vingt ans le temps consacré
aux déplacements pour se rendre au travail avait peu augmenté,
et surtout qu'il est relativement aisé d'accéder
à son emploi quel que soit l'endroit où l'on demeure
à Québec. Une réalité bien différente
de celle de Boston, de Montréal ou Toronto.
Dans ces villes, de petits centres régionaux se créent,
regroupant entreprises et quartiers domiciliaires car les travailleurs
ont tendance à se rapprocher de plus en plus de leur employeur
pour ne plus passer des heures dans les embouteillages. Rien
de tel à Québec, où les citoyens n'habitent
pas forcément à proximité de leur lieu de
travail et continuent à parcourir des distances relativement
importantes pour aller travailler.
La recherche du CRAD s'appuie sur les enquêtes menées
par le Réseau de transport de la capitale (RTC) qui sonde
tous les cinq ans les citoyens sur leurs habitudes de transport
sur le territoire desservi par ses autobus. En s'intéressant
aux résultats de 1977 et de 1996, les chercheurs ont pu
dégager certaines tendances. Ainsi, la distance parcourue
par les citoyens pour rallier leur poste de travail augmente
en deux décennies, en particulier chez les femmes: 9,3
kilomètres en 1996 contre 6,3 kilomètres en 1977,
les hommes parcourant de leur côté environ 10,3
kilomètres. Paradoxe, la durée de déplacement
des travailleuses diminue dans le même temps pour s'établir
à environ 15 minutes.
Équité contre écologie
"Selon nos chiffres, les femmes de la région
de Québec ont délaissé l'autobus pour la
voiture, explique Marie-Hélène Vandersmissen. Près
de 70 % d'entre elles conduisent pour aller au travail en 1996,
contre 38 % vingt ans avant." Apparemment, l'utilisation
de ce mode de transport plus autonome a des répercussions
sur leur mobilité professionnelle. En effet, les chercheurs
ont établi un lien statistique entre l'utilisation de
la voiture et leur progression dans la hiérarchie socioprofessionnelle.
"En étant moins dépendantes des trajets et
des horaires des autobus, les femmes auraient accès à
un bassin d'emplois plus important", note la chercheure.
Par ailleurs, les zones d'emploi semblent s'être déplacées
au fil du temps. Si, il y a 20 ans, les banlieusards convergeaient
vers le centre-ville pour travailler, ils ont désormais
beaucoup plus d'opportunités de travail le long des grands
axes routiers, car l'emploi se délocalise.
À voir le modèle urbain qui se confirme avec cette
nouvelle étude des chercheurs du CRAD, on a l'impression
que Québec vit encore dans la logique des années
1970, alors que l'étalement urbain constituait le mode
de développement par excellence et que l'effet de serre
ne concernait encore que le domaine horticole. "Effectivement,
les problèmes d'accessibilité qui pourraient inciter
les gens à revoir leur mode d'utilisation des transports
sont réduits dans la région, reconnaît Marie-Hélène
Vandersmissen. Les demandes pour prolonger l'autoroute Du Vallon
montrent que la tendance à l'étalement urbain demeure
toujours importante, même si les demandeurs n'en ont pas
vraiment conscience." Les différents gouvernements
vont donc devoir déployer des trésors d'imagination
pour inciter la population de Québec à adopter
des comportements davantage écologiques.
PASCALE GUÉRICOLAS
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