
Entre la tête et le coeur
La qualité d'un coeur greffé dépend
de délais médicaux et non de la cause de la mort
du donneur
Qu'une personne meure d'un traumatisme crânien, d'une
hémorragie cérébrale ou d'un coup de feu
à la tête n'a pas d'incidence sur la valeur de son
coeur à des fins de transplantation. Par contre, le temps
écoulé entre l'accident du donneur et le prélèvement
de son coeur est déterminant pour la survie à moyen
et à long terme de la personne qui reçoit cet organe.
Voilà les conclusions, publiées dans une récente
édition de la revue scientifique Transplantation,
auxquelles arrive une équipe internationale composée
de Bernard Cantin, professeur à la Faculté de médecine
et chercheur au Centre de recherche de l'Hôpital Laval,
et de six autres chercheurs du Canada, des États-Unis
et de Singapour.
Ces chercheurs ont passé en revue les dossiers de 475
patients adultes qui ont reçu un coeur au Stanford University
Medical Center entre 1986 et 2000. Ces coeurs provenaient de
personnes décédées des suites d'un traumatisme
crânien (48 % des cas), d'une hémorragie cérébrale
(24 %), d'un coup de feu à la tête (21 %) ou d'autres
causes (7 %). Un suivi sur 15 ans n'a révélé
aucun lien entre la cause de la mort cérébrale
des donneurs et la survie des receveurs. De récentes études
suggéraient pourtant que certains types de mort cérébrale
avaient des effets négatifs sur le coeur (pression sanguine
perturbée, vasoconstriction périphérique,
sous-perfusion d'organes, myocarde endommagé, etc.) et
réduisaient les chances de survie des greffés.
"Certains décès surviennent dans un contexte
de stress énorme qui provoque un important relâchement
d'hormones et de neurotransmetteurs pouvant affecter le coeur,
reconnaît Bernard Cantin. Notre recherche - la première
étude exhaustive sur le sujet - démontre cependant
que la survie à long terme des greffés cardiaques
ne dépend pas du type de mort cérébrale
du donneur."
L'or du temps
Par contre, le professeur Cantin et ses collègues
établissement clairement que le temps écoulé
entre l'accident et le prélèvement du coeur est
déterminant dans la survie à long terme des receveurs.
Les patients qui ont reçu un coeur prélevé
plus de 72 heures après l'accident survenu au donneur
ont un plus faible taux de survie dès la première
année qui suit l'intervention, et l'écart se creuse
par la suite. Après un an, la différence entre
les groupes "moins de 72 heures" et "plus de 72
heures" se situe à 4 % (85 % contre 81 %); après
5 ans, il passe à 8 % (70 % contre 62 %) et après
10 ans, à 13 % (53 % contre 40 %). "Une prise en
charge rapide des donneurs dès que le diagnostic de mort
cérébrale est prononcé aurait un impact
positif sur la survie des receveurs", souligne Bernard Cantin.
Dans leur étude, les chercheurs rapportent que le délai
entre l'accident et le prélèvement du coeur varie
de 13 à 699 heures, pour une moyenne de 55 heures. Les
personnes décédées d'un coup de feu sont
celles pour qui ce délai est le plus court (45 heures).
"Lorsqu'un patient arrive avec une balle dans la tête,
c'est relativement facile de constater la mort cérébrale.
Par contre, les délais sont beaucoup plus longs lorsqu'un
patient se présente à l'hôpital avec un mal
de tête qui s'avère éventuellement causé
par une hémorragie ou qu'un polytraumatisé de la
route subit des interventions en salle d'urgence", explique
le professeur Cantin.
Les délais constituent le noeud de la guerre et Bernard
Cantin espère que l'article de Transplantation
servira de munition pour améliorer les conditions dans
lesquelles sont pratiqués les prélèvements
et les greffes cardiaques. En raison de son caractère
impromptu, le prélèvement d'organes sur une personne
décédée de mort subite ne peut être
planifié longtemps à l'avance. De plus, pour améliorer
les chances de succès, la greffe doit être pratiquée
dans les heures qui suivent le prélèvement. Il
faut une grande coordination entre tous les spécialistes
de divers hôpitaux qui viennent prélever, sur un
même donneur, les organes dont leurs propres patients ont
besoin.
"Dans presque tous les hôpitaux du monde, le prélèvement
d'organes et les greffes se déroulent la nuit parce que
les salles de chirurgie et l'équipement ne sont disponibles
qu'une fois la journée normale terminée, la plupart
du temps, après 21 h, déplore Bernard Cantin. On
nous dit que, de toute façon, notre patient peut attendre
parce qu'il est mort. Ce qui est difficile à faire comprendre,
c'est que ce mort va faire vivre jusqu'à six personnes
si on peut prélever rapidement son coeur, ses reins, ses
poumons, son foie et son pancréas. Et plus vite on passe
à l'action, meilleures sont les chances de survie des
personnes qui recevront ces organes." Environ 4 000 greffes
cardiaques sont pratiquées annuellement à travers
le monde.
JEAN HAMANN
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