
L'âme moléculaire du vin
Le Centre de recherche en biologie forestière perce
les secrets de famille des cépages québécois
Récemment, des viticulteurs australiens qui croyaient
produire un Riesling ont eu la surprise d'apprendre que leur
cépage était, en réalité, un Sémillon.
Même étonnement au Chili où des producteurs
de Merlot ont découvert qu'ils cultivaient du Carmenère.
Aux États-Unis, le Zinfandel, ce cépage "typique"
de la Californie, est connu depuis des lustres sous l'appellation
Primitivo en Italie. La vigne aurait-elle perdu ses papiers d'identité
dans le périple mondial qu'elle a entrepris?
"Il semble exister une certaine confusion dans l'appellation
des cépages, surtout aux États-Unis, au Chili et
en Australie", constate l'étudiant-chercheur Patrick
Pollefeys, du Centre de recherche en biologie forestière.
"Des cépages ont adopté de nouveaux noms en
changeant de pays, des erreurs involontaires dans l'identification
de variétés se sont perpétuées et
il est même arrivé que des hybrideurs falsifient
volontairement l'identité de cépages qu'ils avaient
mis au point pour protéger le fruit de leur travail. Il
y a un ménage de fond à faire dans les cépages
du Nouveau Monde."
C'est en 1998, alors qu'il effectuait un stage au vignoble Bourg-Royal
de Charlesbourg, dans le cadre de ses études en agronomie,
que Patrick Pollefeys a pris conscience de la difficulté
d'identifier avec certitude un cépage. "J'ai constaté
que les responsables du vignoble avaient certaines difficultés
à reconnaître les cépages sur leur terrain.
Ils devaient régulièrement se référer
à la documentation du vignoble pour savoir ce qui avait
été planté dans chaque section." À
la décharge des viticulteurs, il faut préciser
qu'il existe environ 10 000 variétés de vignes
à travers le monde. Leur classification repose sur une
centaine de marqueurs morphologiques comme la forme des feuilles,
l'angle des nervures, le rapport entre la longueur des nervures
primaires et secondaires, le type de grappes et la teinte des
raisins, signale l'étudiant-chercheur. "Je me suis
dit qu'il devait bien y avoir d'autres moyens de certifier l'identité
d'un cépage", dit Patrick Pollefeys.
Château Québec
À l'instar d'autres biologistes moléculaires
à travers le monde, Patrick Pollefeys et son directeur
de mémoire de maîtrise, Jean Bousquet, ont entrepris
de mettre un peu d'ordre dans les liens qui unissent la très
grande famille de la vigne. Les deux chercheurs publient d'ailleurs,
dans le numéro de décembre de la revue scientifique
Genome, une analyse de la diversité génétique
de 16 hybrides cultivés en Amérique du Nord. "Nous
avons choisi les variétés les plus courantes au
Québec pour que notre étude soit utile aux producteurs
d'ici", précise l'étudiant-chercheur.
Les analyses de signatures génétiques, effectuées
à partir de feuilles de vignes provenant des collections
de référence de l'Agence canadienne d'inspection
des aliments, de l'Université Guelph et du ministère
de l'Agriculture des États-Unis, ont fait appel à
des marqueurs moléculaires éprouvés pour
la vigne européenne. Dans une large mesure, les résultats
obtenus par les deux chercheurs ont permis de confirmer la généalogie
connue de chacune des variétés testées,
ce qui démontre la validité de ces marqueurs moléculaires
pour les cépages nord-américains.
Les chercheurs ont également observé une plus grande
diversité génétique chez les hybrides franco-américains
que chez les cultivars européens. "Ces derniers sont
issus d'une seule espèce, Vitis vinifera, alors
que les hybrides franco-américains proviennent de croisements
entre la vigne européenne et six espèces de vignes
indigènes d'Amérique du Nord, explique Patrick
Pollefeys. Cette plus grande diversité génétique
constitue une bonne base pour l'amélioration génétique
des cépages."
Les outils moléculaires ne remplaceront pas la botanique
classique dans l'identification des cépages, prévient
toutefois l'étudiant-chercheur. "Il s'agit tout simplement
d'un outil complémentaire." Par contre, le profil
génétique d'une variété de vigne
pourrait éventuellement faire partie de la certification
d'un cépage. "Cette information confirmerait l'identité
d'une variété tout en protégeant la propriété
intellectuelle des hybrideurs qui l'ont mise au point."
Lui-même amateur de bon vin - sa réserve compte
déjà plus de 75 bouteilles -, Patrick Pollefeys
estime que sa curiosité pour le divin nectar n'a pas subi
les contrecoups d'une surexposition scientifique pendant sa maîtrise.
"Tout au contraire, c'est devenu encore plus une passion!"
Si ses recherches sur la vigne sont terminées pour le
moment, sa recherche de bon vin, elle, ne connaît pas de
trêve. "J'apprends par essai et erreur", avoue
candidement cet adepte de la méthode empirique.
JEAN HAMANN
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