
Mère infertile, bébé fragile
La médecine devrait-elle aider toutes les femmes qui
peinent à concevoir un enfant?
La fragilité des enfants conçus grâce aux
nouvelles technologies de la reproduction (NTR) aurait une cause
étonnante: l'infertilité de la mère elle-même.
Voilà la conclusion à laquelle arrive le professeur
Raymond Lambert, de la Faculté de médecine, après
avoir testé les différentes hypothèses proposées
pour expliquer la prévalence élevée de problèmes
de santé chez les enfants in vitro. Le chercheur
du Centre de recherche en biologie de la reproduction publie,
dans un récent numéro de la revue scientifique
Human Reproduction, le fruit de ses analyses qui interpellent
sérieusement la profession médicale.
Une grosse surprise
La médecine savait déjà que les jumeaux,
triplets et quadruplets in vitro avaient une santé
fragile. Ce qu'on ignorait jusqu'à tout récemment
est que même les singletons (enfants qui naissent seuls)
issus des NTR courent, grosso modo, deux fois plus de risques
de prématurité, de petit poids à la naissance,
d'anomalies graves et de mortalité que les enfants tricotés
selon la méthode traditionnelle. "Les naissances
multiples expliquent une bonne partie du problème, mais
pas toute l'histoire", commente Raymond Lambert.
En utilisant exclusivement des études portant sur les
singletons, le chercheur a conclu qu'il était improbable
que les médicaments utilisés pour stimuler l'ovulation
et que la procédure in vitro puissent expliquer
les problèmes de santé des bébés
issus des NTR. "Ça constitue une grosse surprise
puisque des études sur les animaux avaient démontré
l'impact négatif de la procédure in vitro
sur la santé des petits", admet le professeur Lambert.
L'infertilité du père semble également disculpée
par les rares études disponibles. Ne reste donc que l'infertilité
de la mère comme principale explication.
On ignore pour le moment par quels mécanismes l'infertilité
de la femme influerait sur la santé de l'enfant, signale
le chercheur. On ne sait pas davantage comment reconnaître,
parmi toutes les femmes infertiles, celles qui forment le petit
groupe de patientes à risques. "Il faudrait pouvoir
les identifier avant le début du traitement afin que le
médecin puisse bien informer le couple des dangers qui
menacent la santé de l'enfant à naître, fait
valoir Raymond Lambert.
Devoir médical
La responsabilité du médecin devant pareille
éventualité est d'amener la réflexion du
couple à un point tel qu'il prendra la décision
en fonction de la santé du bébé plutôt
que de son propre désir d'enfant, suggère le chercheur.
"Je crois que le médecin doit tenir compte de l'intégrité
de l'embryon comme celle d'une tierce personne et qu'il doit
adopter une attitude respectueuse de la santé de l'enfant
à naître, dans la mesure où il se situe dans
un projet parental. L'European Society of Human Reproduction
and Embryology a adopté la même position dans un
récent avis. Il s'agit d'un virage important pour la profession
médicale, virage qui ne renie cependant pas le droit des
femmes à l'avortement", insiste-t-il.
Selon le chercheur, le médecin doit aider les parents
à réaliser leur projet tout en s'assurant que l'enfant
à naître soit le plus en santé possible.
"Dans les cas où les risques sont très élevés,
cela pourrait signifier que le médecin suggérera
de recourir à une alternative comme l'adoption",
ajoute-t-il.
Si la position de Raymond Lambert sur cette question et sur la
limitation du nombre d'embryons transférés chez
la femme infertile semble au diapason de celle des experts européens,
elle rencontre une certaine résistance aux États-Unis
où l'autonomie des couples infertiles quant au traitement
de leur maladie semble avoir préséance. "Les
preuves des répercussions de certains traitements de l'infertilité
sur la santé des enfants sont cependant en voie de changer
la pratique des médecins américains. Je pense même
que l'évolution va être très rapide, surtout
par crainte des poursuites judiciaires", prédit-il.
JEAN HAMANN
|