
Au coeur de la nébuleuse
Vingt-huit spécialistes cartographient l'antilibéralisme
québécois au 20e siècle
En écho à la toute première édition
des Séminaires Fernand-Dumont, organisés conjointement
par le Département de sociologie et son Groupe d'étude
sur le XXe siècle québécois, vient de paraître
le collectif L'antilibéralisme au Québec au
XXe siècle. Édité chez Nota bene,
l'ouvrage traduit le dynamisme et l'originalité de cette
rencontre de sociologues, en reproduisant non seulement les allocutions
diverses mais aussi les débats qui animèrent ce
séminaire tenu à l'université en novembre
2001. Les Séminaires Fernand-Dumont étant bisannuels,
cette parution survient tout juste à l'approche de la
seconde rencontre.
Vingt-huit spécialistes n'étaient pas de trop pour
cartographier un peu la nébuleuse de l'antilibéralisme
québécois, dont les tendances se sont allègrement
étirées entre la gauche et la droite. Dans sa préface,
le directeur de l'ouvrage, Gilles Gagné, positionne le
dialogue: "À l'heure où s'impose, sur le fond
d'une pratique multiforme, l'idéologie inconsistante du
néolibéralisme, où le socialisme passe pour
un mauvais souvenir des sociétés occidentales,
où l'État-providence est redéfini sur la
base de son efficacité économique au nom du règne
du client, il nous a semblé opportun de s'interroger sur
les critiques passées et présentes du système
libéral pour en éprouver les postulats et comprendre
la teneur des mouvements sociaux qui les ont portées."
Cette réflexion commune contribue donc à fragiliser
les clichés qui dominent aujourd'hui la sphère
politique, autant du côté du pouvoir que de la contestation.
Une manière de fournir des outils à l'indignation
ambiante, tout en diminuant sa naïveté, est certainement
de passer en revue les différentes mouvances antilibérales
du siècle dernier, ce que Gilles Gagné et ses collègues
font avec soin. Du créditisme et du corporatisme, examinés
par Gilles Bibeau et Sylvie Lacombe, on enchaîne avec le
syndicalisme et la démocratie de participation (Jean-Marc
Piotte, Jean-Jacques Simard), chacune des interventions se doublant
d'une réaction de la part d'un autre participant. La reproduction
des débats éloigne encore cet exercice d'un ennuyeux
colloque, convoquant ainsi le lecteur au processus d'une réflexion
plutôt qu'à une série de monologues.
Marxisme (Maurice Lagueux) et totalitarisme (Michel Freitag)
sont au menu dans la troisième et dernière partie,
ce qui nous fait voyager entre le groupe des années 70
Parti pris et les mouvements sociaux les plus récents,
entre le nazisme et l'économisme contemporain, auquel
le 11 septembre a fourni des armes idéologiques non négligeables.
En tout et pour tout, un bel exemple d'une pensée curieuse
et intersubjective, à la croisée d'hier, d'aujourd'hui
et de demain.
THIERRY BISSONNETTE
L'antilibéralisme au Québec au XXe siècle,
sous la dir. de Gilles Gagné, Nota bene, 2003.
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