
Les rites sont éternels
La naissance, l'entrée dans le monde adulte, l'union
conjugale, la mort: voilà quelques-unes des dimensions
de la vie qui survivront toujours à l'épuisement
des rituels qui les entourent, et qu'on remplacera inévitablement
par d'autres. C'est ce qui ressort notamment du nouvel ouvrage
de Denis Jeffrey, professeur d'éthique à la Faculté
des sciences de l'éducation.
Déjà auteur de Jouissance du sacré
et de Rompre avec la vengeance, Denis Jeffrey s'est consacré
cette fois à un Éloge des rituels, essai
de facture très libre malgré ses multiples références
et son regard rigoureux. "On pourra dire, affirme Jeffrey,
que le rite va disparaître quand les hommes ne croiront
plus que les sources de la vie et le tragique de la mort leur
échappent. Mais on voit bien l'impossible de la disparition
des rituels."
Plutôt que de parler de chapitres pour les huit parties
de son ouvrage, l'auteur a préféré l'appellation
d'"approches". C'est que tout comme Montaigne et Edgar
Morin, cités en début d'ouvrage, Denis Jeffrey
ressent le besoin de tourner autour de son objet et de multiplier
les perspectives, s'éloignant par là d'une pensée
binaire et mortifiante.
L'idée du livre s'est d'ailleurs présentée
tout naturellement, à partir d'une discussion entre amis
sur la question des rites. Alors même que le débat
avançait, Jeffrey fut frappé par la quantité
de rituels qui traversaient ce souper même. "Dans
ce livre, je désire pousuivre la discussion de Cap-à-l'Aigle.
Il ne faudra pas y chercher des arguments exhaustifs de type
universitaire. Je ne désire pas faire un exposé
scientifique ni un livre qui relate l'histoire des rituels."
C'est donc à partir du quotidien de ses contemporains
que l'essayiste a orienté ses remarques, décelant
dans le présent les traces des rites anciens, qu'on aurait
tort de croire disparus.
Autant le domaine de la nourriture, du vêtement, du récit
ou de la fête sont investis du besoin de ritualiser, qu'il
y ait ou non contrainte sociale. C'est cette persistance du rite,
même dans le terrain laïc et sceptique des sociétés
occidentales, qui aiguillonne la réflexion de Denis Jeffrey.
Ainsi, si l'on s'en fie à la vision très large
de l'auteur, le monde académique lui-même serait
indissociable de rites collectifs permettant à la fois
distance et actualisation: " Le rituel est de l'ordre d'un
jeu. Le jeu rituel ouvre un espace de relations différentes
vis-à-vis de soi, d'autrui et du monde ambiant. La durée
du jeu rituel est propice à l'expression de sentiments,
d'émotions, de paroles qui n'auraient pas pu voir le jour
autrement."
THIERRY BISSONNETTE
Denis Jeffrey, Éloge des rituels, Presses
de l'Université Laval, 2003.
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