
Compagnons de la neige
Petra Mertens révèle la contribution des poètes
immigrants à la littérature québécoise
Dans la famille de Petra Mertens, on ne se contente pas de remarquer
au réveil que le soleil brille ou qu'il pleut. Fréquemment,
les parents et les grands-parents de cette finissante au doctorat
en littérature québécoise, sous la direction
de François Dumont, professeur au Département des
littératures, lancent des poèmes à la gloire
du poirier de l'autre côté de la vitre ou soulignent
le lever de lune, strophes à l'appui. "Ils connaissent
des milliers de vers et m'ont vraiment transmis le goût
de la poésie", remarque la jeune femme d'origine
allemande qui vient de soutenir une thèse sur la poésie
québécoise des immigrants entre 1953 et 1970. Tout
naturellement, elle s'est donc tournée il y a quelques
années vers un sujet de recherche lui permettant d'explorer
à la fois sa passion pour ce genre littéraire et
sa condition de néo-Québécoise.
Le choix de la période littéraire étudiée
peut surprendre car généralement les recherches
sur l'apport des immigrants à la culture d'ici portent
sur les années 1980 ou 1990. "Justement, je me suis
aperçue qu'on parlait fréquemment de gens comme
Sergio Kokis ou de Dany Laferrière, mais beaucoup moins
des écrivains arrivés au moment de la Révolution
tranquille, quand la société québécoise
changeait beaucoup", explique-t-elle. Petra Mertens a donc
choisi 22 poètes écrivant en français, en
s'appuyant sur les oeuvres recensées dans le Dictionnaire
des oeuvres littéraires du Québec . La plupart
de ces créateurs provenant de France, de Belgique, d'Haïti,
de Yougoslavie, de Tchécoslovaquie, de Pologne, maniaient
déjà le français en prenant pied en terre
québécoise. Selon la finissante au doctorat, plusieurs
d'entre eux ont adopté la langue de leur nouvelle patrie
pour écrire car leurs propres mots étaient trop
chargés d'émotions et de sens.
Des constructions identitaires
Dans sa thèse, Petra Mertens ne se contente pas de
souligner l'apport de ces nouveaux poètes. Elle établit
un parallèle entre le travail de construction identitaire
qu'effectuent les immigrants de façon individuelle et
face à la société d'accueil, et celui des
écrivains natifs du Québec plongés alors
en plein questionnement. La chercheure met ainsi en relation
le poème Cage d'oiseau avec un texte écrit
par le poète yougoslave Alain Horic s'inspirant des vers
d'Hector de Saint Denys Garneau. Les vers de l'un et de l'autre
parlent de solitude, de remise en question, mais un espoir se
dessine dans le poème du néo-Québécois
qui voit son arrivée dans le Nouveau monde comme une seconde
naissance.
Les poètes immigrants ne passent pas leur temps à
s'interroger sur leur sort, ils frayent aussi avec leurs collègues
natifs du Québec et se constituent une nouvelle famille
comme dans le poème Compagnons de la neige, écrit
par Juan Garcia, se rapprochant des écrits de son grand
ami Gaston Miron. Lucides face à la société
qui les accueille, les créateurs n'hésitent pas
à dénoncer l'étouffement dont souffre le
Québec dans les années soixante. Petra Mertens
met ainsi côte à côte les poèmes de
Michel Van Schendel, un poète d'origine française
qui a récemment reçu un Prix du Québec,
et ceux de Jacques Brault, en remarquant que le processus de
changement s'amorce de façon plus douce et moins révolutionnaire
sous la plume de ce dernier.
La thèse rédigée par Petra Mertens a grandement
intéressé les évaluateurs qui lui ont suggéré
d'envoyer son manuscrit à un éditeur. Il existe
en effet encore peu de recherches sur la contribution des écrivains
immigrants à la littérature d'ici à une
époque charnière de la constitution du Québec
moderne. Après avoir travaillé plusieurs années
de façon solitaire, Petra Mertens espère maintenant
enseigner. "J'ai envie de sortir de mon enclos, d'échanger
avec les étudiants", souligne-t-elle, le sourire
aux lèvres. Avis aux intéressés
PASCALE GUÉRICOLAS
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