À l'encre rouge
Maurizio Gatti prépare la première anthologie
de la littérature amérindienne francophone
Culture encore en émergence, la littérature amérindienne
francophone fait l'objet d'une première anthologie à
paraître au printemps aux éditions Hurtubise HMH,
fruit de la recherche de Maurizio Gatti dans le cadre de son
doctorat en littérature et en sociologie. Dirigé
par Réal Ouellet, professeur au Département des
littératures, et Denys Delage, professeur au Département
de sociologie, le jeune chercheur d'origine italienne a effectué
un énorme travail de collecte, en voyageant aux quatre
coins du Québec amérindien pour rencontrer les
auteurs et les convaincre d'inscrire leur création dans
ce recueil collectif.
Longtemps considérée comme l'arme de l'oppresseur
blanc, l'écriture n'a pas encore bonne presse au sein
de plusieurs communautés amérindiennes. Bien des
quadragénaires et des sexagénaires conservent dans
leur chair les meurtrissures de leur séjour dans les pensionnats,
alors qu'ils devaient s'arracher à leur famille encore
nomade pour apprendre à lire et à écrire.
Nombre d'écrivains avec lesquels Maurizio Gatti a établi
un lien de confiance au fil des années n'évoquent
jamais avec leurs proches leur travail de création littéraire
et ne se considèrent pas vraiment comme des auteurs. "Souvent,
cela prenait du temps avant qu'ils ne me parlent de leurs écrits,
raconte le jeune homme. J'arrivais dans le village, on discutait
de tout et de rien, puis ils m'emmenaient dans le bois et, fréquemment,
la discussion à propos de leurs uvres démarrait
autour du feu."
Petit à petit, Maurizio Gatti a rassemblé des romans,
de la poésie, des récits ironiques et du théâtre
écrits par des auteurs se définissant comme Amérindiens
même s'ils ne résident pas toujours sur une réserve
ou n'écrivent pas systématiquement sur leur peuple.
Certains, comme le dramaturge très connu Yves Sioui Durand,
ont d'ailleurs refusé de voir leur uvre figurer dans l'anthologie,
de crainte que leur création ne soit réduite qu'à
leur seule amérindianité. Interrogé sur
la valeur vraiment littéraire de certains textes aux allures
de témoignages, le chercheur explique qu'il a retenu les
écrits sur lesquels l'auteur avait effectué un
véritable travail sur la forme. Mais, du même souffle,
il reconnaît qu'il a pris certains risques dans son anthologie
en y incluant des textes encore jamais publiés. "C'est
une littérature encore embryonnaire, mais je pense qu'il
faut absolument la mettre en valeur et souligner sa présence,
insiste Maurizio Gatti. On ne peut plus passer à côté
aujourd'hui, et il faut se donner des instruments de travail
pour la suivre."
Des milliers de kilomètres parcourus
Le jeune chercheur a déployé une énergie
hors du commun pour parvenir à constituer une anthologie
la plus fidèle possible aux thèmes récurrents
de la littérature amérindienne, mais également
représentative de la diversité des onze nations
amérindiennes présentes au Québec. Il a
ainsi retravaillé, afin de lui donner un style plus littéraire,
le manuscrit que Jean-Paul Joseph, un Innu de Shefferville, avait
écrit d'un seul jet lors d'un séjour en prison.
Ce travail d'édition lui a d'ailleurs demandé une
bonne dose de diplomatie, car chaque correction devait être
endossée par tous les membres de la famille dont certains
ne parlaient que la langue innue.
Les textes rassemblés par Maurizio Gatti permettent donc
de prendre le pouls de l'état de la culture écrite
des Amérindiens d'ici, dont l'évolution historique
ressemble à bien des égards à celle de la
littérature québécoise. Comme bien des auteurs
du Québec, les écrivains autochtones abordent souvent
le thème de la quête identitaire et du rapport au
colonisateur, tout en remettant au goût du jour des personnages
mythiques issus de la tradition orale, tel le carcajou. Cependant,
certains sujets ou leur traitement semblent proprement autochtones
qu'il s'agisse de poèmes très sensuels où
tous les sens sont sollicités ou de textes marqués
par la spiritualité ou par l'influence de la nature. Une
partie de l'anthologie évoque aussi la vie actuelle dans
les réserves où la violence, les abus sexuels et
l'alcoolisme constituent des réalités incontournables.
Maurizio Gatti considère que cette anthologie pourra aider
les écrivains autochtones du Québec à se
connaître et à échanger davantage sur leur
travail au sein d'un réseau littéraire, comme les
amérindiens anglophones ont pu le faire depuis plusieurs
années. Ce recueil de textes va peut-être également
contribuer à faire tomber quelques préjugés
et prouver aux sceptiques que le statut d'Amérindien ne
se limite pas à encaisser des chèques gouvernementaux.
À cet égard, il semble d'ailleurs significatif
que ce soit un Italien qui publie une des premières anthologies
sur cette littérature en émergence.
PASCALE GUÉRICOLAS
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