
Le bénévolat est en mutation
De plus en plus de personnes voient cette activité
comme une façon d'affirmer leurs valeurs
Peu de temps avant Noël, les bénévoles
se retrouvent fréquemment sous les feux de la rampe, bravant
le froid pour recueillir des fonds ou servant des repas aux démunis.
Cependant on sait peu de choses sur les motivations profondes
de ces hommes et de ces femmes qui donnent leur temps aux autres.
Deux chercheurs de l'Université Laval ont voulu dépasser
les idées reçues à leur sujet et surtout
comprendre les mutations du bénévolat d'aujourd'hui
au Québec. Andrée Fortin, professeure au Département
de sociologie et Éric Gagnon, professeur associé
au Département de médecine sociale et préventive,
viennent de publier un article portant sur la construction de
soi par le bénévolat dans la revue Nouvelles
pratiques sociales, et pourraient en publier un second prochainement
dans Lien social et politiques.
En rencontrant près d'une cinquantaine de bénévoles
impliqués dans des organismes culturels, dans leur paroisse
ou encore à l'école primaire, les chercheurs ont
constaté que nombre de personnes voyaient cette activité
comme une façon d'affirmer leurs valeurs. "Autrefois,
notre destin était tracé d'avance dès notre
naissance tandis qu'aujourd'hui il faut constamment se redéfinir,
note Andrée Fortin. Le bénévolat constitue
une façon de marquer des passages ou, au contraire, de
souligner une certaine continuité."
La chercheure cite ainsi l'exemple de cette femme qui, pendant
plusieurs années, a accompagné des malades en phase
terminale. À la naissance de ses enfants, elle a changé
d'orientation pour s'impliquer auprès des futures mères,
puis à l'école. Pour d'autres bénévoles,
le don de son temps permet de franchir une nouvelle étape
de vie. "Il peut s'agir de gens qui veulent surmonter un
veuvage, une rupture amoureuse, ou qui remettent en cause leur
existence après un accident", précise Andrée
Fortin.
Le bénévolat comme projet de société
En interrogeant en profondeur des personnes engagées
dans divers organismes, les chercheurs ont rapidement compris
qu'on ne peut réduire le bénévolat à
l'altruisme ou à l'attention portée aux autres.
En fait, la plupart des personnes rencontrées insistent
sur les liens sociaux qu'elles nouent en travaillant bénévolement
et sur leur désir de contribuer à un projet de
société. Les chercheurs ont ainsi remarqué
que le bénévolat augmentait dans le secteur culturel.
En s'impliquant dans le Festival de musique sacré de Saint-Roch
ou dans l'organisation d'un festival du film à Baie-Comeau,
les bénévoles cherchent donc à aider la
cause de la culture. Une volonté analogue anime ceux qui
donnent de leur temps dans la paroisse ou à l'école.
Autrement dit, le bénévole s'engage de plus en
plus dans des organismes correspondant à ses valeurs profondes,
et non pas simplement pour se mettre au service des autres par
obligation.
À ce sujet, les chercheurs ont d'ailleurs découvert
une donnée intéressante concernant la définition
même du bénévolat. "Plusieurs personnes
interrogées nous ont expliqué qu'à leurs
yeux l'entraide familiale faisait désormais partie du
bénévolat, raconte Andrée Fortin. Une grand-mère
ne se sent plus obligée de garder ses petits-enfants,
mais le fait par plaisir et considère alors qu'elle agit
comme bénévole." Les organismes qui font appel
fréquemment à l'implication du public auraient
tout intérêt à prendre en compte ces changements
de perception face au bénévolat. Plusieurs éprouvent
en effet des difficultés à retenir leurs bénévoles
dans leurs rangs parce qu'ils ont du mal à saisir les
motivations profondes de ceux et celles qui leur offrent le plus
précieux des dons, le temps.
PASCALE GUÉRICOLAS
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