Le roi est nu
Le discours d'André Arthur sous la loupe
des étudiants de la Faculté des lettres
Un insecte sous la loupe d'un entomologiste. Voilà
à quoi ressemblait le discours de l'animateur radiophonique
André Arthur alors qu'une quinzaine d'étudiants
en linguistique, communications et français disséquaient
ses émissions mardi dernier dans le cadre d'un colloque
organisé par le Centre interdisciplinaire de recherches
sur les activités langagières (CIRAL). Structure
de l'argumentation, types de figures de style, attitude face
aux autorités, les différents présentateurs
ont effectué une plongée en profondeur pendant
le mois d'août dans cet univers radiophonique souvent qualifié
de «radio poubelle». Un à un, les chercheurs
ont démonté les trucs de cet as du micro qui use
de son art de la parole pour dénigrer le reste de l'humanité
et s'auto-glorifier.
Litotes, métaphores, hyperboles: l'analyse des émissions
radiophoniques d'André Arthur montre clairement que son
discours en apparence très spontané repose sur
des fondations extrêmement solides. Julie Bérubé
et Sophie Leclerc ont ainsi constaté que l'animateur avait
recours à un nombre très élevé de
figures de styles, et qu'il utilisait cet arsenal linguistique
essentiellement pour ridiculiser les autres, dramatiser l'événement
ou insister encore ou encore sur l'idée qu'il avance.
«Sa volonté de ridiculiser frappe dès la
première écoute, remarquent les deux étudiantes,
car il dévalorise et réduit la crédibilité
des gens dont il parle.» Et de citer l'habitude omniprésente
de l'animateur de réduire systématiquement une
personne ou un organisme à un trait péjoratif,
répété émission après émission.
Sous sa langue acérée, Jean Charest devient le
clown «Ronald Mac Charest», qui plus est qualifié
de «mangeux de balustre» pour mettre en lumière
sa relation privilégiée avec l'Église, et
la Journée mondiale de la jeunesse se définit comme
" la niaiserie de Toronto".
Le drame et la tragédie semblent constituer le quotidien
dans l'univers de l'animateur radiophonique. Les deux étudiantes
ont ainsi remarqué qu'André Arthur avait souvent
recours à l'hyperbole pour accentuer l'aspect dramatique
des événements. Le père qui a oublié
son enfant dans sa voiture cet été provoquant son
décès, se transforme en «ce père qui
a fait toaster sa petite fille». Même procédé
avec la généralisation hyperbolique qui permet
de transformer des jugements à l'emporte-pièce
en vérités universelles. Brusquement «tous
les trains de Via Rail sentent le petit pied» ou «le
monde entier rit de nous au Québec.» Par ailleurs,
pour être sûr que l'auditoire adhère à
son discours, l'animateur n'hésite pas à répéter
encore et encore certains termes, le mot "idiot" revenant
par exemple sept fois en quinze lignes de retranscription.
Le règne de la grossièreté
Vindicatif, agressif dans ses jugements, l'animateur fait
preuve d'une impolitesse notoire lorsque certains auditeurs osent
le contester. Anna Malkowska, Kelle Keating et Sarha Lambert
ont remarqué qu'il transgressait fréquemment toutes
les règles en la matière, critiquant et insultant
la personne au bout du fil en quelques mots lapidaires. «Il
donne des ordres d'un ton agressif, en utilisant des mots grossiers
ce qui créé un effet de surprise», constate
les étudiantes. Souvent désarçonnés
devant tant d'agressivité, l'auditeur ainsi interpellé
se dévalorise lui-même comme pour se retirer du
combat. L'animateur reste alors seul dans l'arène, et
en profite pour asseoir encore un peu plus sa prétendue
puissance.
En dénigrant systématiquement le gouvernement,
les syndicats, l'école publique, tel ou tel personnage
placé sous les feux de l'actualité, André
Arthur poursuit un but unique, celui de démontrer aux
auditeurs sa clairvoyance. Émission après émission,
il se construit un personnage dominant, alors qu'à ses
yeux les élus font sans cesse la preuve de leur incompétence
à gérer l'argent des citoyens, comme le remarquaient
Mireille Elchacar et Caroline Laflamme, et que l'Église
est immorale. Bien sûr, certains peuvent rire de cette
démesure verbale et la considérer uniquement comme
un divertissement. Mais à en croire Diane Vincent, à
l'initiative de ses travaux d'étudiants, «ce discours
a une influence sur l'opinion publique et le divertissement a
un coût élevé». C'est pour cette raison
que la professeure au Département de langues, linguistique
et traduction a suggéré à ses étudiants
de prendre les discours de l'animateur comme objet d'étude.
Elle a d'ailleurs refusé de l'inviter personnellement
au colloque, par ailleurs ouvert à tous, en soutenant
que «lorsqu'un biologiste travaille sur les oiseaux, il
ne les invite pas.»
PASCALE GUÉRICOLAS
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