
Oeuvre de chaire
Le travail résolu et patient de la botaniste
Line Rochefort conduit à la création de la Chaire
de recherche industrielle en aménagement des tourbières
Résolu et patient. Ces deux mots décrivent bien
le travail des sphaignes, cette famille de mousses qui forme
le coeur et l'âme de l'écosystème des tourbières.
Ces modestes végétaux, reconnus pour leur capacité
à coloniser les milieux pauvres où nulle autre
plante ne prend racine, réussissent, à force de
patience et de longueur de temps, à tisser de verts tapis
continus qui s'étendent sur de vastes territoires, comblant
au passage lacs et étangs à l'imperceptible rythme
de six centimètres par siècle.
Le travail de Line Rochefort est à l'image de son sujet
d'études: résolu et patient. Lorsque cette spécialiste
de l'écologie des mousses a entrepris la mise au point
de techniques de restauration des tourbières en 1992,
elle arrivait en terrain inhospitalier où aucun autre
chercheur n'avait osé poser le pied. "Les débuts
ont été difficiles, se souvient-elle. Les premiers
essais de culture de sphaignes sur le terrain ont été
un échec total. Mes trois premiers étudiants-chercheurs
et une professionnelle de recherche ont quitté mon laboratoire
pour aller travailler ailleurs. Parfois, je me demandais moi-même
ce que je faisais à l'Université." Mais, à
force de travail et de persévérance, la professeure
du Département de phytologie de la Faculté des
sciences de l'agriculture et de l'alimentation a réussi
à mettre au point une technique qui permet de reconstituer
de verdoyants tapis de sphaignes sur les sols mis à nu
par l'extraction des dépôts tourbeux.
Ses travaux font maintenant école dans les milieux scientifiques
internationaux et, plus important encore, ils produisent des
dividendes sur le terrain: l'industrie canadienne de la tourbe
a entrepris d'appliquer sa méthode pour retourner les
tourbières exploitées à l'état d'écosystème
fonctionnel. "C'est le but que je m'étais fixé
lorsque j'ai décidé de m'engager dans ces recherches,
confie-t-elle. C'est ma façon d'ajouter ma goutte d'eau
de solution à l'océan des problèmes
environnementaux."
Du travail pour cinq ans
Les efforts déployés depuis dix ans par Line
Rochefort ont reçu leur consécration le 28 novembre
alors qu'une cinquantaine de personnes étaient rassemblées
au pavillon Paul-Comtois pour célébrer le lancement
officiel de la Chaire de recherche industrielle en aménagement
des tourbières du Canada, dont elle devient la première
titulaire. La chercheure, membre du Centre d'études nordiques
et directrice du Groupe de recherche en écologie des tourbières,
disposera de 2,4 M $ pour poursuivre ses travaux au cours des
cinq prochaines années. Cette somme provient principalement
du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie
du Canada (1,25 M $), mais également de 12 partenaires
industriels: Sungro Horticulture Canada (356 000 $), Premier
horticulture (300 000$), l'Association canadienne de mousse de
sphaigne (250 000 $), Tourbe Fafard (144 000 $), le Groupe Berger
(133 000 $), le Groupe Qualité Lamèque (109 000
$), Fafard & Frères (70 000 $), ASB Greenworld (49
000 $), La Mousse Acadienne (45 000 $), Modugno-hortibec (41
000 $), Tourbes Nirom Peat Moss (39 000 ) et Tourbières
Lambert (17 500 $). L'Université Laval appuie également
le projet en y investissant 260 000 $.
Au Québec seulement, quelque 25 entreprises s'adonnent
à l'extraction de la tourbe. Elles réalisent des
ventes annuelles de plus de 50 M $ et fournissent l'équivalent
de 700 emplois à temps plein en régions. Dans l'ensemble
du Canada, on parle de 3 000 emplois. Comment concilier cette
activité économique et le maintien de l'écosystème
des tourbières? "Nos travaux montrent qu'une tourbière
laissée à elle-même après l'exploitation
du dépôt tourbeux ne reconstituera pas une tourbière
semblable à ce qui existait avant, souligne Line Rochefort.
Pour recréer une tourbière, il faut avant tout
favoriser le retour des sphaignes. Sans sphaignes, il n'y a pas
de tourbière. Ce sont les ingénieures de cet écosystème."
Par essai et erreur, Line Rochefort et son équipe ont
mis au point une méthode basée sur la transplantation
de sphaignes qui permet de restaurer les fonctions écologiques
de ces écosystèmes. Ces plantes proviennent présentement
de tourbières naturelles, mais la chercheure entrevoit
la création de fermes qui en feraient la culture. "Il
faut un 1 mètre carré de sphaigne pour restaurer
15 mètres carrés de tourbière abandonnée",
précise-t-elle. Une fois cette roue enclenchée,
le temps fait son oeuvre. La méthode Rochefort a prouvé
son efficacité sur une douzaine de sites jusqu'à
présent. "Le but de l'intervention n'est pas de reconstituer
un dépôt de tourbe pour en faire la récolte,
mais de recréer une tourbière fonctionnelle",
insiste la chercheure.
Depuis 1993, les producteurs de tourbe suivent de près
ses travaux et collaborent d'ailleurs à leur financement.
"Au départ, ce sont surtout les pressions internationales
qui ont poussé les producteurs à se soucier des
sites abandonnés. Depuis, les entreprises ont fait beaucoup
de chemin et elles ont adopté des politiques en faveur
de la restauration des tourbières. Grâce à
des ateliers de transfert technologique que nous offrons chaque
année et à un guide que nous avons publié,
elles peuvent désormais apprendre comment effectuer elles-mêmes
tous les travaux de restauration."
Les chercheurs de l'Université Laval André Desrochers,
Claude Lavoie et Monique Poulin, de même que leurs collègues
Jonathan Price (Waterloo) et James Waddington (McMaster), collaborent
aux travaux de la Chaire de recherche industrielle en aménagement
des tourbières. Au cours des prochaines années,
Line Rochefort et ses collègues tenteront d'élargir
l'éventail de milieux humides qu'ils parviennent à
restaurer, de diminuer le coût et d'augmenter le taux de
succès des travaux de restauration, et, enfin, de mettre
sur pied une station de recherche sur la culture de la sphaigne.
JEAN HAMANN
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