
Chercheurs en maisons closes
Une étude démontre l'importance de rejoindre,
dans les lieux qu'ils fréquentent, les clients des prostituées
béninoises
Les campagnes de prévention des MTS et du sida dans
les pays en voie de développement ciblent surtout un groupe
à hauts risques: les prostituées. Du coup, ces
opérations négligent un autre segment de la population,
complémentaire au premier et tout aussi problématique:
leurs clients. "Ils constituent un vecteur important de
propagation des MTS et, en plus, ils jouent le rôle de
pont pour la transmission de ces maladies entre les prostituées
(dont 40 % sont porteuses du VIH) et les autres femmes de la
population", font valoir le professeur Michel Alary et ses
collègues Lowndes, Mukenge-Tshibaka et Bédard de
l'Unité de recherche en santé des populations de
la Faculté de médecine, ainsi que neuf autres chercheurs,
dans le dernier numéro de la revue scientifique Sexually
Transmitted Infections.
Si les campagnes de prévention ont négligé
les hommes qui ont recours aux services des prostituées,
c'est que, jusqu'à présent, ils étaient
considérés trop difficiles à rejoindre.
Afin de démonter la pertinence de campagnes qui leur seraient
destinées, Michel Alary et ses collègues ont organisé
une opération sur le terrain des prostituées, dans
treize bars et bordels de Cotonou au Bénin. Entre mai
et août 1998, au fil de 47 soirées de travail, ils
ont ainsi recruté plus de 400 sujets au moment où
ceux-ci se présentaient sur les lieux où les travailleuses
du sexe offrent leurs services. Avant de visiter une prostituée,
ces hommes ont accepté de fournir un échantillon
d'urine à des fins de dépistage de MTS. Une partie
de l'échantillon était immédiatement soumise
à un test de terrain rapide et peu coûteux, le LED
(leucocyte esterase dipstick). Le reste prenait le chemin
de laboratoires québécois pour faire l'objet de
tests plus sophistiqués, histoire de vérifier la
fiabilité du test de terrain. Au sortir de leur visite
chez la prostituée, les participants devaient répondre
à une série de questions relatives à leurs
comportements sexuels et se soumettre à un examen médical.
Les chercheurs ont ainsi découvert que 8 % des participants
étaient porteurs du sida. De plus, 5 % avaient la gonorrhée,
3 % avaient une chlamydiose et 3 % avaient une trichomonase (des
traitements gratuits étaient offerts aux personnes atteintes).
Le test LED s'est révélé relativement fiable
pour les gonorrhées et les chlamydioses, mais pas pour
les trichomonases.
Plus de 80 % des hommes porteurs d'une de ces trois MTS ne présentaient
aucun symptôme apparent et une forte proportion des participants
(44 %) n'avait pas utilisé de condom avec la prostituée
qu'ils venaient tout juste de visiter, même si les chercheurs
leur en avaient offerts gratuitement à leur arrivée.
"Le fait que la très grande majorité des gonorrhées
et des infections à chlamydia soient asymptomatiques dans
cette population suggère que des programmes de dépistage
et d'intervention pourraient être très utiles dans
ce groupe à hauts risques", concluent les chercheurs.
Ils proposent donc aux responsables de la santé d'imiter
le protocole employé dans leur étude en se rendant
régulièrement sur les lieux de travail des prostituées
pour y mener des opérations de dépistage, de traitement
et d'information auprès des clients.
JEAN HAMANN
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