Les ratés s'affichent
Des étudiants en histoire de l'art passent
de la théorie à la pratique
Les étudiants en histoire de l'art ont l'habitude d'en
entendre des vertes et des pas mûres sur leur prétendue
vocation d'"artistes ratés", eux qui ont choisi
d'étudier l'art plutôt que de le pratiquer. Quelques
étudiants ont donc eu l'idée d'organiser une exposition,
baptisée par dérision "Salon des ratés",
qui a lieu jusqu'au 12 décembre à la salle d'exposition
du pavillon Alphonse-Desjardins. Une façon aussi pour
ces artistes ne se prenant pas au sérieux de faire un
clin d'oeil au Salon des refusés qui a eu lieu à
Paris en 1863, où les esthètes du temps défilaient
devant les oeuvres des artistes ratés pour s'en moquer.
Ce salon hors de l'ordinaire accueillait ainsi un certain Manet
et sa toile Le déjeuner sur l'herbe, une oeuvre
rejetée par le jury du salon officiel se déroulant
en même temps.
D'emblée, la diversité des oeuvres exposées
frappe le visiteur. Contrairement aux étudiants en arts
visuels qui travaillent souvent ensemble, et explorent conjointement
certaines techniques, les exposants travaillent individuellement,
sans suivre de courant précis. Les aquarelles reproduisant
fidèlement un paysage bucolique côtoient donc des
danseuses sur pointes aux couleurs très design, ou encore
une grande flamme rouge et jaune semblant dévorer le papier
qui la supporte. "Je crois que l'influence exercée
par les artistes du 20e siècle sur le travail des étudiants
constitue une constante entre toutes les oeuvres, remarque Sylvie
Thériault, une des organisatrices du Salon des ratés.
On peut mettre des noms sur les modèles."
De Picasso aux surréalistes
L'ombre d'un Picasso en pleine période cubiste plane
par exemple non loin de la tête déconstruite rouge
et noire peinte par Alexis Desgagnés, ainsi qu'à
proximité de sa sculpture représentant un homme
au faciès tourmenté. À quelques pas de là,
David Nadeau se réfère quant à lui aux surréalistes
et aux symbolistes lorsqu'il se lance dans la peinture de personnages
souvent mythiques, rehaussés par des fonds soigneusement
texturés. "Je peins à l'huile depuis six mois,
mais j'accumule depuis plusieurs années des croquis et
des collages dans mes carnets, précise cet étudiant
de deuxième année en histoire de l'art. La poésie
m'inspire beaucoup, mais aussi la tradition religieuse et ésotérique.
Peu importe que le public ne connaisse pas le mythe grec derrière
le tableau si l'intensité de l'oeuvre parle d'elle-même."
Si certains étudiants réfléchissent longuement
avant de se lancer, d'autres affichent leur préférence
pour des oeuvres spontanées. Christine Savard laisse ainsi
son pinceau décider de la forme de ses personnages fantasmagoriques
qui semblent narguer le visiteur de façon sardonique avec
un oeil démesurément grand. Non loin, la cicatrice
de métal d'Eve Parent strie le fond rouge de sa toile
comme un bouquet aux dents acérées s'offrant au
regard. "Le figuratif me laisse toujours insatisfaite, explique
la jeune fille, alors que je peux me laisser aller dans l'abstrait."
De son côté, Nicolas Pezolet capture des moments
du quotidien dans ses clichés numériques, en traquant
les multiples traces déposées dans la ville. Bref,
l'exposition prouve bien que le fait d'étudier en histoire
de l'art n'interdit pas de se lancer soi-même dans la production.
PASCALE GUÉRICOLAS
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