
Le héros encombrant
Le purgatoire historique où marine Jean-Olivier Chénier
révélerait le rapport trouble qu'entretiennent
les Québécois avec le souvenir de la rébellion
de 1837
Manifestement, certains personnages de grande envergure ayant
marqué l'histoire du Québec et du Canada ont laissé
peu de traces dans l'imaginaire collectif. Marc Collin, étudiant
au doctorat en histoire sous la direction de Jocelyn Létourneau,
s'intéresse ainsi au manque de mémoire manifeste
touchant Jean-Olivier Chénier, personnage pourtant très
impliqué dans la révolte des Patriotes de 1837.
Il existe peu de recherches historiques sur ce médecin
mort les armes à la main en défendant Saint-Eustache
contre les attaques de l'armée anglaise, et il a fallu
attendre 150 ans après son décès pour que
ses restes soient déposés dans la partie bénite
du cimetière de ce village, par la Société
Saint-Jean Baptiste. Un oubli qui éclaire sous un jour
particulier la relation que les Québécois entretiennent
avec le souvenir de la rébellion du 19e siècle.
"La charge symbolique autour de cet homme qui a mené
la révolte jusqu'au bout sans jamais se laisser vaincre
s'avère très forte, fait remarquer Marc Collin.
Pourtant, les Libéraux, héritiers spirituels des
Patriotes, ne trouveront pas les mots pour le défendre."
Les adversaires politiques conservateurs et le clergé
ne se gêneront pas pour condamner ce patriote mort en état
de pêché puisque contrairement à la plupart
de ses compagnons de révolte il n'a jamais fait acte de
contrition, et se trouvait donc responsable à leurs yeux
de la répression qui a suivi les événements.
Même si un personnage comme Dollard des Ormeaux - que plusieurs
à l'instar de Jacques Ferron considèrent comme
un petit malfrat - subit une condamnation morale sans appel au
cours des années 1970 et 1980, Chénier ne parvient
pas à s'imposer comme figure de héros révolutionnaire
digne d'admiration. Manifestement, les nationalistes semblent
en panne d'imagination à son sujet pour le classer aux
côtés de Papineau ou de De Lorimier, alors que certains
éléments de son histoire, comme le fait que son
cur aurait été planté au bout d'une pique
par les soldats anglais, semblent vraiment hors de l'ordinaire.
Héros et rebelle
Orateur très apprécié en son temps,
ce médecin associé à l'élection de
plusieurs députés patriotes, devenu commandant
du camp de Saint-Eustache, et qui a donné sa vie pour
un principe, a peut-être pâti du manque de visibilité
de la rébellion de 1837 dans les livres d'histoire. En
effet, on en retient surtout l'épisode de la fuite des
chefs devant l'avancée de l'ennemi. "Cette révolte
dépasse largement le simple affrontement ethnique, le
cur de l'affaire, c'est la naissance d'une nation," souligne
Marc Collin, qui précise que certains anglophones soutenaient
les Canadiens français, tandis que ces derniers se retrouvaient
parfois du côté des Loyalistes.
À l'entendre, le discours officiel occulte quelque peu
le soulèvement de 1837-1838 au profit de la Conquête,
un souvenir plus facile à assimiler, car il met en scène
des acteurs bien identifiés à leur camp respectif.
C'est ce qui expliquerait que Jean-Olivier Chénier ait
été laissé de côté au profit
de Dollard des Ormeaux, et que les Britanniques soient passés
à l'histoire comme "les habits rouges", en référence
peut-être aux Iroquois, les "méchants Peaux-Rouges"
de la Conquête. De la même façon, l'histoire
du cur de Chénier promené comme un trophée
se réfère sans doute aux massacres des missionnaires
par les Amérindiens. En fait, il semble que ce médecin-révolutionnaire
constituait un héros un peu encombrant. Fauché
en pleine révolte contre le pouvoir en place, il représentait
un danger potentiel pour les gouvernements suivants qui n'ont
pas jugé bon de le réhabiliter.
PASCALE GUÉRICOLAS
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