
Quelle famille!
La troupe Les Treize propose l'humour grinçant
d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ciblant la France profonde
"Je préfère la crémation à
l'inhumation et les deux à une fin de semaine avec ma
famille." Cette déclaration iconoclaste du réalisateur
américain Woody Allen résume bien l'univers de
la pièce de théâtre écrite par Agnès
Jaoui et Jean-Pierre Bacri, qu'ils ont aussi portée à
l'écran. Chaque semaine, les membres de la famille d'Henri
Ménard se réunissent dans son bar un peu miteux
avant de partir manger. Aujourd'hui, la situation diffère
car son épouse Arlette manque à l'appel. Du coup,
les secrets enfouis depuis des années sous le poids des
habitudes et des conventions, les blessures jamais cicatrisées,
les rancurs explosent aux visages des invités, tandis
que certains esquissent des gestes maladroits de tendresse.
"J'ai présenté le projet de monter Un air
de famille pour décrire aux Québécois
la France populaire, la France d'en-bas, alors que beaucoup de
gens s'imaginent ce pays comme un lieu idyllique", explique
Vincent Agrapart, l'acteur d'origine française qui incarne
Henri. Les mots souvent très durs qu'échangent
les frères et surs ou la mère et ses enfants ont
d'autant plus de poids que les comédiens jouent à
quelques centimètres des premiers spectateurs au Théâtre
de poche, donnant l'occasion à ces derniers de quasiment
toucher les tensions du doigt. Du coup, les acteurs, qui assument
collectivement la mise en scène, avec l'assistance de
Sandria Bouliane, ont délibérément choisi
de ne pas tomber dans l'excès et la caricature même
si certains personnages comme Yolande, la sur d'Henri, pourraient
facilement donner lieu à ce genre d'interprétation.
"Nous préférons que l'actrice qui l'incarne
vive sa naïveté, son innocence, et que le spectateur
découvre lui-même sa stupidité, explique
Vincent Agrapart. On joue donc de façon réaliste,
avec quand même quelques exubérances."
La revanche du bouc émissaire
La pièce a beau donner vie à des personnages
profondément frustrés et malheureux, Un air
de famille reste fondamentalement une comédie, où
les mots acérés que les uns et les autres se lancent
comme des couteaux finissent par avoir un effet comique. Par
ailleurs, tous ne restent pas figés dans leur position.
Henri, Yolande, Betty, leur autre sur, ou même Denis le
serveur connaissant une certaine évolution au cours de
l'intrigue. Jean-François Lépine a ainsi eu un
réel plaisir à incarner ce personnage très
humble, sur lesquels plusieurs au début de la pièce
déversent leur amertume. "Je me suis beaucoup reconnu
en Denis, car moi aussi j'encaisse, je m'écrase pour éviter
les conflits, explique le jeune homme. C'est un rôle qui
m'a permis de comprendre mes propres mécanismes et de
mieux m'affirmer."
Exceptionnellement, Les Treize jouent la pièce deux semaines
successives, soit dix soirs, et les comédiens ont donc
tout le loisir d'enrichir leur jeu afin de mieux entrer en interaction
avec le public. L'intimité de la salle de spectacle ressemble
d'ailleurs à celle du bar sur scène, permettant
aux acteurs et aux personnages de vivre à l'unisson les
rebondissements de l'intrigue. Les représentations ont
lieu à 20 h, au Théâtre de poche du pavillon
Maurice-Pollack, du 26 au 30 novembre et du 3 au 7 décembre.
Les billets sont en prévente au coût de 10 $, au
Bureau des activités socioculturelles, au local 2344 du
pavillon Alphonse-Desjardins, ainsi que sur le réseau
Billetech (service et taxes en sus), ou à 12$ à
la porte le soir du spectacle.
PASCALE GUÉRICOLAS
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