
«À quoi ça sert, les sciences?»
"À quoi ça sert les sciences?" "Qu'est-ce
que ça donne d'apprendre ça?" "Je ne
me servirai jamais de ça dans la vie!" Ces remarques,
les professeurs de sciences - surtout ceux du secondaire - les
entendent des centaines de fois chaque année, le plus
souvent de la bouche d'étudiants qui en arrachent au point
d'haïr sans retenue tout ce qui s'apparente de près
ou de loin à cette matière. Pourtant, c'est à
cette science tant détestée que ces mêmes
jeunes - les plus technos que la Terre ait jamais portés
- doivent une bonne partie des choses agréables de la
vie: télé, jeux vidéo, Internet, CD, MP3,
chat, cinéma, etc. Comment expliquer alors leur aversion
pour ce qui leur procure tant de plaisirs?
"Pour trois raisons", a répondu l'auteur et
physicien français Jean-Marc Lévy-Leblond, le 21
novembre, à l'occasion du dernier Bar des sciences du
magazine Québec Science qui avait pour thème
"À quoi sert l'enseignement des sciences?".
"D'abord, poursuit Jean-Marc Lévy-Leblond, parce
que, contrairement à l'histoire ou à la littérature,
la science telle que nous l'entendons est une discipline jeune
qui a à peine quatre siècles, ensuite parce que
ses contenus sont sans continuité avec la vie sociale
des étudiants, et enfin parce que la science est en voie
d'être brutalement remplacée par la technoscience."
Au cours de ce débat où une cinquantaine de personnes
s'étaient réunies au café Loft pour discuter
science autour d'une bière, des doigts accusateurs ont
pointé tantôt les étudiants, tantôt
les professeurs, tantôt les contenus pour expliquer la
désaffection mondiale des jeunes pour la science.
"On demande aux professeurs de sciences à
la fois d'allumer les étudiants, de former des citoyens
capables d'exercer leur esprit critique sur des sujets sociaux
liés aux sciences, et de préparer la relève
scientifique de demain. Aucun être humain ne possède
toutes les qualités requises pour réaliser tout
cela."
À qui la faute?
Pour Louis Dubé, professeur au Département
de physique, de génie physique et d'optique de l'Université
Laval, les difficultés actuelles de l'enseignement des
sciences tiennent en partie au fait que la culture de l'effort
s'est perdue. "Les jeunes n'ont plus l'intérêt
d'apprendre des choses qui exigent un effort. Le défi
de l'enseignant est non seulement de convaincre les étudiants
qu'ils vont trouver quelque chose au bout du voyage, mais aussi
que le voyage est intéressant en lui-même."
Mais, encore faut-il que les étudiants entreprennent l'odyssée.
Gilles Gagné, professeur au Département de sociologie
et directeur de l'ouvrage collectif Main basse sur l'éducation,
estime que la réforme de la formation des maîtres
a chassé les scientifiques des écoles secondaires
québécoises et, du coup, la passion qu'ils y apportaient.
Les sciences sont maintenant enseignées par des professeurs
dont la formation est centrée sur l'acte d'enseigner et
non sur la matière. "Ces enseignants n'ont pas de
rapport profond avec leur matière, contrairement à
quelqu'un qui l'a étudiée vraiment", a-t-il
déploré.
Pour Sébastien Paradis, étudiant-chercheur au doctorat
en physiologie-endocrinologie, c'est le contenu des cours de
sciences qui fait problème. "La science, telle qu'enseignée
au secondaire, repose sur la transmission de savoirs qui sont
présentés comme des certitudes. Ce que je vis quotidiennement
au laboratoire me montre que c'est une fausse image parce que
la science, c'est surtout un monde d'incertitudes et de questionnements."
Le professeur de sociologie Olivier Clain a abondé dans
le même sens. "L'enseignement des sciences souffre
du discours de la vérité. Dans la réalité
historique et sociale, il en va tout autrement. La science est
une entreprise critique du déjà-su et le devoir
de la science est d'apprendre aux étudiants que le savoir
vient de l'abrogation du savoir."
Les professeurs de sciences ont une tâche titanesque sur
les épaules, a finalement souligné Yvon Fortin,
du Centre de démonstration en sciences physiques du Cégep
F.-X. Garneau. "On leur demande à la fois d'allumer
les étudiants, de former des citoyens capables d'exercer
leur esprit critique sur des sujets sociaux liés aux sciences
et de préparer la relève scientifique de demain.
Aucun être humain ne possède toutes les qualités
requises pour réaliser tout cela."
JEAN HAMANN
|