
Ces mots qui sonnent
La poésie doit reprendre sa place dans
l'enseignement
Présente sur bon nombre de tribunes au Québec
dans les années 1960 et 1970, la poésie a vu peu
à peu son auditoire se restreindre comme peau de chagrin.
Réunis le 21 novembre pour un débat animé
par Catherine Morency, étudiante au deuxième cycle
en littérature québécoise, à l'occasion
de l'inauguration du Centre Hector-de Saint-Denys-Garneau (voir
article en page 2), six professeurs de collège et d'université
ont tenté d'évaluer la place qu'occupe aujourd'hui
ce genre littéraire dans l'enseignement. D'une même
voix, ils ont déploré qu'au cégep l'étude
des poèmes se trouve désormais intégrée
à celle de l'essai et du théâtre, d'autant
plus que l'enseignant doit aussi consacrer du temps à
apprendre à ses élèves à écrire
une dissertation. Le nombre de cours consacrés à
la poésie à l'université s'en trouve réduit,
cet enseignement devenant toujours plus optionnel. Dans ces conditions,
c'est difficile pour les professeurs de se faire médiateurs
de l'oeuvre et d'éveiller leur classe aux beautés
de la poésie.
"La poésie ne s'enseigne pas, elle s'écoute
et s'attrape", affirme Lise Martin. Cette chargée
de cours au Département des littératures recommande
aux pédagogues d'user de leur passion pour faire partager
leur plaisir de lire des poèmes, et d'impliquer toujours
davantage leurs classes. "Il y a quelques années,
j'ai travaillé avec des élèves de première
secondaire sur les Fables de La Fontaine en montant une pièce
de théâtre à l'heure du dîner et, à
ma grande surprise, les élèves ont montré
un grand intérêt pour le projet, même s'ils
se montraient réticents au départ", explique-t-elle.
La mobilisation des enseignants du collégial autour de
la cause de la poésie s'avère d'autant plus importante
qu'ils ont souvent affaire à des élèves
des formations techniques pour lesquels l'étude de poèmes
ressemble à une perte de temps absolue. "Il faut
leur réapprendre à lire, car ils cherchent à
résumer un recueil de poèmes comme un roman, déplore
Claude Paradis, professeur de français au Cégep
de Sainte-Foy et poète. Je pense qu'un des premiers avantages
de la poésie c'est qu'elle oblige les gens à s'arrêter
dans un monde qui ne veut pas arrêter. C'est une leçon
de vie, car elle permet de retrouver le sens."
Pour plusieurs des invités à la table ronde,
la lecture à haute voix des poèmes constitue peut-être
un des moyens à employer pour susciter l'intérêt
des élèves. "Je pense que c'est très
important de les lire même s'ils sont longs, explique Pierre
Nepveu qui enseigne la poésie à l'Université
de Montréal. Je lis la première strophe, quelqu'un
continue, pour arriver à une sorte de polyphonie poétique,
et ainsi pénétrer plus vite dans la poésie."
À l'entendre, la poésie doit absolument se frotter
aux autres formes d'art, à la peinture, à la musique,
et se produire dans des lectures publiques pour toucher davantage
le grand public. Une vision que partage François Dumont,
directeur du Centre Hector-de Saint-Denys-Garneau et du Département
des littératures qui constate que le discours trop spécialisé
de la poésie la coupe du lecteur généraliste.
"Les poètes parlent souvent d'eux-mêmes aujourd'hui,
constate-t-il. La poésie doit sortir de ce cloisonnement
et de cet isolement qui constituent autant d'obstacles à
l'enseignement." Le mot de la fin revient peut-être
au poète et romancier Pierre Morency qui assistait au
débat et qui a appelé de ses vux le retour d'une
poésie vraiment lyrique, capable de ramener le grand public
vers ce genre littéraire.
PASCALE GUÉRICOLAS
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