
On sue au Nord
Le mercure grimpe, le pergélisol fond
et les infrastructures du Nord du Québec écopent
S'il subsistait quelques doutes sur les sautes d'humeur du
mercure dans le Nord québécois, le professeur Richard
Fortier, du Département de géologie et de génie
géologique, s'est chargé de les passer au grill
lors d'une conférence départementale présentée
le 18 novembre. "Certains entretiennent encore des doutes
sur le réchauffement climatique du Nord du Québec,
mais aujourd'hui, je vais vous présenter des évidences
frappantes qui indiquent que c'est vrai", a-t-il lancé
en guise d'introduction.
Dans le cadre de leurs travaux au sein du Centre d'études
nordiques (CEN), Richard Fortier et son collègue Michel
Allard, du Département de géographie, ont effectué
une analyse détaillée de données climatiques
du Nord québécois depuis les années 1920.
Ces données proviennent, d'une part, de stations météorologiques
opérées par Environnement Canada à Inukjuak,
Kuujjuaq, Kuujjuarapik et Schefferville, et, d'autre part, du
réseau de stations climatologiques que le CEN a déployé
au Québec nordique depuis 1985. "À toutes
les heures, nos appareils enregistrent la température
de l'air, la température du pergélisol et les différents
paramètres atmosphériques", précise
Richard Fortier.
Les données des deux sources pointent dans la même
direction: le Nord québécois traverse une période
de réchauffement climatique rapide depuis 10 ans. Ainsi,
les chercheurs rapportent qu'à la station de Kuujjuaq,
la température moyenne annuelle est passée de -5,1
°C en 1949 à -5,8 °C en 1988, ce qui constitue
une légère baisse de 0,7 °C sur un demi-siècle.
Par contre, entre 1988 et 1999, la température annuelle
moyenne est passée de -7,4 °C à -3,7 °C,
pour un taux moyen de réchauffement de 0,37 °C par
année. "La même tendance a été
observée aux autres stations, affirme Richard Fortier.
Il s'agit d'un taux de réchauffement soutenu sans précédent
depuis 1921. Ce taux est près de cinq à huit fois
plus élevé que ce qui est prévu par les
modèles couplés de circulation générale
pour les prochaines décennies." En termes simples,
ceci signifie que le Nunavik se réchauffe plus rapidement
encore que ce qu'avaient prédit les experts.
Ça brasse
Ce réchauffement soudain se manifeste de façon
spectaculaire au royaume du permafrost. En effet, comme le pergélisol
- sol gelé en permanence - se trouve maintenant à
une plus grande profondeur sous la surface, les infrastructures
construites sur ce qui était un substrat solide se retrouvent
soudainement sur un sol beaucoup moins stable.
Ces perturbations du sol menacent les infrastructures de certains
villages du Nunavik, a souligné Richard Fortier. Le chercheur
cite, à titre d'exemple, le glissement de terrain, survenu
en septembre 1998, dans la vallée du village de Salluit.
Ce glissement a forcé le déménagement d'une
vingtaine de maisons récemment construites et l'abandon
d'un nouveau développement domiciliaire (voir autre article
sur ce village en page 6).
Par ailleurs, des fissures et des dépressions font progressivement
leur apparition sur la piste d'atterrissage de Tasiujaq, construite
il y a une quinzaine d'années à peine. Les chercheurs
se demandent si le même sort ne guette pas les autres pistes
construites à la même époque dans les autres
villages inuits du Nunavik. Michel Allard, en collaboration avec
Richard Fortier, vient d'obtenir près de 400 000$ pour
aller vérifier sur place, au cours des trois prochaines
années, l'évolution des conditions du sol sous
ces pistes et pour effectuer le suivi des pistes qui présentent
des signes de détérioration. Ce projet, appuyé
par l'administration régionale Kativik, est financé
par le Fonds d'action pour les changements climatiques du gouvernement
du Canada, par le consortium québécois sur les
changements climatiques Ouranos et par les ministères
du Transport du Québec et du Canada.
Enfin, considérant les tendances climatiques actuelles,
Richard Fortier s'interroge sur la pertinence du projet d'asphaltage
des rues des villages inuits. "Avec les réchauffements
qu'on observe, il y a de gros risques que l'asphalte se fissure
en raison des mouvements du sol et que tout soit à refaire
dans trois ans à peine. Dans les conditions actuelles,
je pense que ce serait un mauvais investissement."
JEAN HAMANN
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