
Vivement l'hôpital!
Des interventions trop poussées sur les
lieux d'un accident augmentent le risque de mortalité
des victimes
Plus le personnel d'urgence envoyé sur le site d'un
accident possède une formation poussée en traumatologie,
plus les risques de mortalité augmentent pour les victimes.
Voilà l'étonnante conclusion à laquelle
arrive un groupe de chercheurs canadiens au terme d'une analyse
rétrospective de plus de 9 000 accidents graves survenus
entre 1993 et 1998, à Toronto, Montréal et Québec.
L'étude, publiée dans les pages de la revue scientifique
Annals of Surgery par André Lavoie, du Département
de médecine sociale et préventive de l'Université
Laval, et par ses collègues montréalais et torontois,
démontre que le taux de mortalité se situe à
18 % lorsque des techniciens ambulanciers dispensent les services
pré-hospitaliers d'urgence sur le site d'un accident.
Par contre, ce chiffre grimpe respectivement à 24 % et
à 35 % lorsque l'intervention pré-hospitalière
est menée par des techniciens médicaux d'urgence
(paramedics) ou par des médecins. Quand les chercheurs
restreignent leurs analyses aux cas de traumatismes graves dont
les victimes auraient pu sortir vivantes, les statistiques de
mortalité passent à 26 % pour les ambulanciers,
à 28 % pour les techniciens médicaux d'urgence
et à 32 % pour les médecins.
Pour André Lavoie, la cause des résultats contre-intuitifs
rapportés dans l'étude n'est pas un mystère.
"Plus la personne que vous envoyez sur le terrain peut appliquer
de techniques pour stabiliser le patient, plus elle en fait.
Ces manoeuvres peuvent avoir un effet négatif parce qu'elles
retardent d'autant l'arrivée du patient au centre de traumatologie."
Précisons que l'étude portait sur trois villes
dotées de centres spécialisés en traumatologie
et que les cas considérés (accidents de la route,
accidents de travail, chutes, etc.) ne comprennent pas d'événements
comme les accidents cardiaques.
Le mieux, ennemi du bien
Les chercheurs ont tiré profit du fait que, au moment
de l'étude, Québec, Montréal et Toronto
utilisaient trois types distincts de services pré-hospitaliers
d'urgence pour comparer les mérites respectifs de chaque
mode d'intervention. À Québec, des techniciens
ambulanciers dispensent les services de base (immobilisation,
pansements, etc.) sur les sites d'accidents. À Toronto,
le travail est assuré par des techniciens médicaux
d'urgence, qui ont une formation spécialisée dans
ce type d'intervention, et, à Montréal, des médecins
accompagnaient l'équipe d'urgence. Ces deux groupes de
spécialistes dispensent des soins plus élaborés
que les ambulanciers sur les lieux d'accidents. "Depuis
deux ans, les médecins montréalais ne vont plus
sur les sites d'accidents", précise toutefois André
Lavoie.
Cependant, le débat persiste dans le monde médical
quant à la pertinence d'inclure des médecins dans
les équipes d'urgence dépêchées sur
les lieux d'accidents. Des pays européens, notamment la
France, l'Angleterre et l'Allemagne, utilisent encore cette stratégie,
souligne André Lavoie. Ici même au Québec,
des discussions ont cours quant à l'éventail de
manoeuvres que les ambulanciers devraient avoir droit de pratiquer
sur les victimes d'accidents. "Nos études démontrent
que, pour augmenter les chances de survie d'une personne blessée,
il faut s'en tenir à l'essentiel sur le site de l'accident,
prendre le patient et le transporter le plus vite possible dans
un centre de traumatologie", conclut le chercheur.
Le commentaire éditorial de la revue Annals of Surgery
invite le monde médical à ne pas "s'asseoir"
sur les résultats de l'étude canadienne: "S'ils
sont convaincants, nous devons les mettre en pratique dès
maintenant. S'il nous faut plus de preuves, nous devons nous
donner sans tarder un échéancier pour réaliser
d'autres études. Ne rien faire pour protéger notre
biais en faveur d'interventions pré-hospitalières
poussées irait à l'encontre de notre responsabilité
première de ne pas faire de tort aux patients."
JEAN HAMANN
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