
Docteur émotions
Le psychiatre David Servan-Schreiber fait le
récit de ses voyages au pays des médecines douces
Un ange est passé au Théâtre de la Cité
universitaire le 28 octobre aux environs de 20h30. Il y est resté
pendant dix longues minutes alors que 650 paires d'yeux étaient
fixement rivées sur un écran géant qui affichait,
en temps réel, les battements de coeur d'un volontaire,
Daniel, monté sur scène à l'invitation du
psychiatre David Servan-Schreiber. Pendant ces intemporelles
minutes, on se serait cru transporté au siècle
passé, à une époque où la présence
de sujets sur scène était courante lors des grandes
conférences scientifiques. Mais, à l'ère
du cinéma 3-D et de la réalité virtuelle,
qui aurait pu croire qu'un simple électrocardiogramme
puisse présenter autant d'intérêt?
À en juger par le silence religieux qui régnait
dans la salle, l'auditoire appréciait chaque seconde de
cet épisode de science-réalité. Avec raison
d'ailleurs, puisque ce n'est pas tous les jours qu'un chercheur
fait la démonstration scientifique, devant public, de
l'efficacité d'une technique de relaxation. En réponse
aux invites du professeur Servan-Schreiber, qui l'encourageait,
à voix feutrée, à visualiser le trajet de
l'air depuis les voies respiratoires jusqu'au coeur, les pulsations
cardiaques de Daniel ont peu à peu ralenti, puis le tracé
chaotique de son rythme cardiaque a cédé le pas
à un tracé harmonieux, tout en courbes régulières,
révélateur de cohérence cardiaque. "Toutes
les méthodes de relaxation, qu'il s'agisse du yoga, de
la méditation ou du tai-chi, ont un dénominateur
commun, a expliqué le conférencier. Elles tendent
à favoriser la cohérence cardiaque, elle-même
associée à la plénitude et au bien-être."
Cohérence cardiaque, auto-guérison des stress post-traumatiques
par les mouvements oculaires rapides - "moi-même,
je jugeais cette méthode loufoque au départ",
avouera-t-il -, énergie de la lumière, acupuncture,
acides gras oméga-3, exercice physique et communication
émotionnelle, l'éminent psychiatre de l'Université
de Pittsburgh, diplômé en médecine de l'Université
Laval, bénévole pour Médecins sans frontières
et auteur de l'essai Guérir - le stress, l'anxiété
et la dépression sans médicaments ni psychanalyse
-aurait-il cédé au côté obscur de
la force des médecines douces? "Au cours des dix
dernières années, les méthodes naturelles
de guérison que je présente dans mon livre ont
été évaluées selon les critères
objectifs de la science actuelle et elles montrent des taux de
réussite élevés. En tant que scientifique,
ça me gêne qu'on ne sache pas comment elles fonctionnent,
mais en tant que médecin, ce qui m'intéresse c'est
de guérir des patients. Alors, je les utilise."
Invité à Québec par la professeure de la
Faculté de médecine, Sylvie Dodin, titulaire de
la Chaire Lucie et André Chagnon pour l'avancement d'une
approche intégrale en santé, David Servan-Schreiber
s'est bien défendu d'avoir inventé quoi que ce
soit. "Il n'y a pas de méthode Servan-Schreiber,
a-t-il insisté. La plupart des approches que je présente
dans Guérir sont ancestrales et connues.
Ces méthodes ont en commun qu'elles capitalisent sur la
capacité de trouver la guérison par soi-même."
Deux cerveaux valent mieux qu'un
Nous possédons deux cerveaux, a expliqué le
professeur Servan-Schreiber. Le premier, le cerveau cognitif,
situé dans le néocortex, est apparu tard au cours
de l'évolution. C'est le siège de la conscience,
du langage, de l'attention, de la réflexion et de la planification.
Le deuxième, enfoui dans les couches profondes du noble
organe, est le cerveau émotionnel. Il contrôle le
rythme cardiaque, la respiration, les systèmes hormonal
et immunitaire, etc. C'est le siège de l'inconscient,
de l'instinct et des réflexes. Tout comme il existe des
mécanismes naturels pour cicatriser la peau d'un doigt
après une coupure, il existe des mécanismes pour
réparer les "bleus" et les "meurtrissures"
du cerveau, a-t-il plaidé. Par contre, il arrive que ces
mécanismes naturels fonctionnent mal et c'est là
que les problèmes surgissent.
Le stress, l'anxiété et la dépression tireraient
leur origine d'un déséquilibre entre les deux cerveaux,
croit le chercheur. "Le bien-être ne peut venir que
de l'équilibre entre les deux composantes du cerveau.
Pour corriger les problèmes du cerveau émotionnel,
il faut communiquer avec lui en passant par le corps plutôt
que par le langage." C'est justement ce que font les médecines
naturelles. Le professeur Servan-Schreiber a cité, à
titre d'exemple, le cas d'un des points d'acupuncture les plus
utilisés dans le traitement de la douleur et de l'anxiété.
Par imagerie médicale, des chercheurs ont démontré
que lorsque ce point - situé sur le dos de la main, entre
le pouce et l'index - est stimulé, il provoque une désactivation
des aires de la douleur dans le cerveau émotionnel.
David Servan-Schreiber n'a pas écrit Guérir
pour régler des comptes avec les traitements pharmacologiques
des problèmes de santé mentale. "Les antidépresseurs
sont une grande découverte et ils sont très utiles
dans certains cas. Mon livre n'est contre rien. Il est pour la
recherche de méthodes naturelles efficaces et pour leur
intégration dans la pratique de la médecine."
Si Guérir connaît un tel succès de
librairie - plus de 300 000 exemplaires vendus en France et au
Québec jusqu'à maintenant -, c'est qu'il fait écho
à une nouvelle conscience dans la population, estime son
auteur. "Cette conscience dit que nous voulons une industrie
qui produit sans nous polluer, une agriculture qui nourrit sans
nous empoisonner. Elle dit également que nous voulons
une médecine qui soigne l'intégrité du corps
et de l'esprit sans nous dégrader."
JEAN HAMANN
|