Des profs à l'épreuve de la politique
Des universitaires ayant tâté de la politique
active tirent des leçons de leur engagement
"J'ai trois défaites électorales dans le corps",
reconnaît Guy Laforest, professeur au Département
de science politique. À priori, ses tentatives ratées
pour devenir doyen de la Faculté des sciences sociales
en 2001 et pour voir son poulain Pierre Moreau accéder
au poste de recteur en 2002 ont peu de rapports avec ses efforts
pour devenir député adéquiste dans le comté
de Louis-Hébert au printemps 2003. Pourtant, la plupart
des universitaires qui ont goûté à la politique
semblent partager avec Guy Laforest une même passion pour
l'engagement public. Au fil des ans, plusieurs professeurs de
l'Université Laval ont brigué les suffrages des
électeurs, certains avec succès comme Raymond Brouillet,
Gil Rémillard, Jean Garon, Louis O'Neill, Jean Rochon,
André Gaulin, d'autres avec moins de bonheur tels Daniel-Mercier
Gouin ou Nicole Duplé. Quelles peuvent être les
motivations d'enseignants et de chercheurs bien installés
dans leur carrière universitaire à s'exposer ainsi
sur la place publique? Que retirer de cette expérience?
Voilà les questions posées à quelques anciens
députés et à d'anciens candidats.
Avant même leur arrivée en politique, la carrière
des anciens élus ou des candidats battus se caractérise
par une forte implication dans la vie de la société.
Le professeur retraité Raymond Brouillet explique, par
exemple, qu'il n'a jamais été un philosophe renfermé
dans ses pensées, mais qu'il aimait se confronter aux
problèmes, à tel point qu'il a trouvé son
bureau d'universitaire bien petit lorsque la défaite électorale
du Parti Québécois en 1985 l'a ramené au
Département de philosophie. Très engagé
socialement depuis son adolescence, cet ancien prêtre profondément
nationaliste voulait agir pour ses concitoyens et travailler
à l'édification d'un pays.
Même motivation pour l'indépendance dans le cas
d'André Gaulin qui a exercé un mandat électoral
sous l'étiquette du Parti Québécois de 1994
à 1998 dans le comté de Taschereau. Ce professeur
retraité au Département des littératures
s'est aussi lancé en politique en partie pour mieux faire
connaître les auteurs d'ici. Il a donc cité abondamment
les écrivains québécois à l'Assemblée
nationale, une citation du poète Gaston Miron se retrouvant
même dans un budget présenté par Bernard
Landry. "J'ai aussi chanté lors d'un débat
entre députés vers 2 h 30 du matin", avoue
l'ancien député, le sourire en coin. Jean Rochon,
doyen de la Faculté de médecine de 1979 à
1985, a décidé pour sa part de se lancer en politique
en 1994 (après sept ans passés comme numéro
deux à l'Organisation mondiale de la santé et avoir
présidé une commission- qui porte son nom
- sur le financement du système de santé du
Québec) pour faire avancer les choses et avoir un pouvoir
de décision dans un domaine qu'il connaissait bien. "L'espoir
que j'ai c'est que certaines de mes réalisations comme
l'organisation locale des services de santé de première
ligne ou l'intégration des CLSC et des soins de longue
durée perdurent", explique l'ancien ministre de la
santé.
Pertinente, l'expérience universitaire?
Motivés, désireux d'accomplir de grands desseins,
les universitaires ont-ils les reins solides pour se lancer dans
l'arène politique? Plus ou moins, rétorque le politicologue
Jean Mercier: "La vie universitaire ne prépare pas
à la politique car les règlements de compte dans
ce milieu très protégé se font de façon
feutrée, alors qu'en politique les attaques sont souvent
très personnelles." Selon lui, les professeurs ont
plutôt intérêt à agir comme conseillers
discrets des politiciens, ainsi qu'ont pu le faire Léon
Dion en science politique, Henri Brun en droit constitutionnel
ou Fernand Dumont dans le domaine de la culture. Pourtant, l'ancien
député Raymond Brouillet explique que son expérience
d'enseignant lui a donné un bon coup de pouce pour prendre
la parole devant des auditoires très divers. "J'ai
déjà dû faire face à plus d'un millier
de mécontents sur le toit de l'Hôpital Chauveau,
un établissement situé dans mon comté sur
le point de fermer, raconte-t-il, et plus tard j'ai tenu tête
à l'animateur radiophonique André Arthur."
Raymond Brouillet explique par ailleurs que ses connaissances
universitaires ont pu l'aider à appréhender la
complexité de la vie politique car la bonne volonté
et les bonnes intentions ne suffisent pas à faire naître
les projets de loi, ni à changer les perceptions du public
sur un dossier controversé. "La réalité
est têtue", souligne-t-il. Pour sa part, André
Gaulin se sentait un peu dans la peau d'un directeur de thèse
lorsque ses électeurs venaient le rencontrer car il tentait
de les orienter vers les bonnes ressources. De son côté,
Louis O'Neill, ministre des affaires culturelles et des communications
sous le premier gouvernement Lévesque et professeur retraité
de la Faculté de théologie, reconnaît que
son expérience politique l'a mûri car il a pu se
frotter à des expériences de vie différentes.
"Cela nous fait atterrir lorsqu'on visite des usines où
des ouvriers fabriquent des chaussures à longueur de journée
dans de fortes odeurs de colle, raconte-t-il. À l'université
nos idées restent sur papier, alors que les praticiens
de la politique ont l'obligation d'agir".
La souveraineté du chef
Pour sa part, même si Guy Laforest n'a pas exercé
comme député, il a dû lui aussi mettre les
bouchées doubles pour s'adapter rapidement au fonctionnement
interne de l'Action démocratique du Québec. Sollicité
par Mario Dumont, il a fini par accepter de devenir candidat
dans le comté de Louis-Hébert, tout en assumant
la présidence du parti. "C'est très difficile
à accepter pour un professeur que les documents qu'il
rédige soient remaniés à plusieurs reprises,
explique-t-il. La vie se charge de nous apprendre la dynamique
partisane, pas le doctorat en science politique." Il se
donne d'ailleurs encore du temps pour utiliser dans ses cours
son expérience récente, lui qui a retrouvé
sa classe d'enseignement le surlendemain de sa défaite
électorale.
Au-delà de l'influence exercée par les universitaires
sur la vie politique, les diplômés de l'Université
Laval jouent également un grand rôle sur les gouvernements
qui se sont succédés dans les dernières
décennies. Plusieurs premiers ministres fédéraux
comme Brian Mulroney, Jean Chrétien se sont formés
ici, des premiers ministres provinciaux aussi qu'il s'agisse
de Jean Lesage, de Lucien Bouchard, René Lévesque,
et bien souvent ils y ont côtoyé d'autres étudiants
devenus au fil du temps des conseillers politiques. Sans compter
que des figures marquantes tels Georges-Henri Lévesque,
le fondateur de la Faculté des sciences sociales, ou le
sociologue Fernand Dumont ont grandement contribué à
la Révolution tranquille, et à la formation de
ceux qui allaient devenir les fonctionnaires d'un nouvel État,
tant à Québec qu'à Ottawa. L'influence en
politique ne se limite donc pas à la boîte de scrutin.
PASCALE GUÉRICOLAS
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