L'appel de la mer de glace
Une expédition dans les eaux sibériennes
conduit l'étudiant Alexandre Forest vers sa destinée
Le déclic s'est produit par un vendredi après-midi
pluvieux et froid de novembre 2002. Lorsqu'il est monté
à bord du bateau de recherche de Québec-Océan,
à l'occasion d'une journée portes ouvertes, Alexandre
Forest se demandait ce qu'il voulait faire de sa vie. Lorsqu'il
en est descendu, il savait. "Il s'est produit quelque chose
pendant la visite. J'ai appris ce que les chercheurs faisaient
et le côté non cloisonné de l'océanographie
m'a tout de suite plu. On touche à plein de choses avec
des gens qui proviennent de tous les horizons", dit-il,
avant de s'interrompre quelques instants pour bien peser ses
mots, comme le font ceux qui s'apprêtent à livrer
un secret. "Je pense aussi que, depuis quelques années,
j'avais en moi cet intérêt pour le travail en mer.
Mon grand-père était capitaine de bateau..."
La trajectoire d'Alexandre Forest aura connu quelques louvoiements
avant que ce cap ne s'impose à son itinéraire de
vie. Au cégep, après avoir testé les eaux
des sciences pures, il a pris le large vers le marché
du travail. Le temps passe et le voilà de retour aux études
dans un programme technique en chimie-biologie. Une fois son
diplôme collégial obtenu, nouveau changement de
cap, il prend la route de l'Université Laval, à
destination du Département de biochimie et de microbiologie.
Ses bons résultats scolaires lui permettent de décrocher
une bourse d'été du CRSNG grâce à
laquelle il travaille dans des laboratoires de recherche. "J'ai
travaillé dans des labos de biologie moléculaire
et de biologie de la reproduction, dit-il. Les deux expériences
ont été très intéressantes, mais
ça ne comblait pas mes attentes." S'ensuit une période
de questionnement sur son avenir, jusqu'au jour où la
visite du navire de recherche est venue dissiper la brume du
doute.
Ce qui s'annonçait comme un été
tranquille, passé à étudier du zooplancton
au microscope dans un labo, s'est transformé en aventure
palpitante
Direction Sibérie
L'étudiant en biochimie va aussitôt frapper
à la porte du capitaine de Québec-Océan,
Louis Fortier, pour lui manifester son intérêt naissant
pour l'océanographie. Ensemble, ils concoctent un projet
de recherche pour l'été 2003 et le soumettent au
CRSNG, qui accepte de verser une nouvelle bourse à l'étudiant.
"Il a fallu que je m'initie rapidement à la taxonomie
du zooplancton marin. Ce n'est pas quelque chose qu'on enseigne
en biochimie." À ce moment-là, Alexandre Forest
ignorait encore que bien d'autres initiations l'attendaient au
détour.
Ce qui s'annonçait comme un été tranquille,
passé à étudier du zooplancton au microscope
dans un labo, s'est transformé en véritable aventure
pour l'étudiant. En juin, Louis Fortier recevait un message
de l'océanographe russe Igor Dmitrenko, installé
à l'Université d'Alaska Fairbanks, qui demandait
de l'aide matérielle et humaine pour une expédition
arctique dans la mer des Laptev, au Nord de la Sibérie.
En échange, Québec-Océan pouvait profiter
d'une occasion extraordinaire pour amasser des données
biologiques sur ces eaux sibériennes. Louis Fortier devait
désigner deux volontaires pour cette mission. Son premier
choix: Marc Ringuette, un étudiant-chercheur rompu à
la recherche arctique, qui termine son doctorat. Le second? Humm...
Pas évident puisque chaque étudiant-chercheur planche
déjà sur son propre projet. Qui donc est disponible
et prêt à partir presque à pied levé
pour la Sibérie?
C'est ainsi qu'après un mois de préparatifs et
un vol en quatre étapes via Oslo, Marc Ringuette et Alexandre
Forest se sont retrouvés, à bord d'un brise-glace
russe, loué, grâce à des fonds américains,
par un chercheur américain d'origine russe! Pour Marc
Ringuette, l'expédition prenait à la fois une tournure
diplomatique et scientifique. "Depuis quelque temps, nous
cherchions une façon d'amorcer une collaboration avec
les Russes et cette chance se présentait à nous.
Sur le plan scientifique, c'est intéressant de savoir
ce qui se passe du côté de l'Arctique que nous n'étudions
pas, parce que je doute fort que cet océan soit partout
pareil."
Une vingtaine d'autres chercheurs russes, un Canadien et une
trentaine de membres d'équipage prenaient également
place à bord de ce brise-glace de recherche pour le moins
spacieux puisque, pendant une partie de l'année, le bâtiment,
doté d'une piscine et d'un sauna, sert de bateau de croisière
pouvant accommoder une centaine de passagers! En tout, ils ont
passé 21 jours à bord de ce navire où "nous
n'avons pas été considérés comme
des invités, mais bien comme des membres à part
entière de l'équipe", constate Marc Ringuette,
qui prononcera une conférence sur le sujet le 17 octobre,
à 12 h 30, au local 3068 du pavillon Vachon.
Un rite initiatique
Pour Alexandre Forest, l'aventure a pris une tournure de
rites initiatiques. "C'était la première fois
que je prenais l'avion, la première fois que je partais
en expédition en bateau et c'était ma première
visite dans l'Arctique", avoue-t-il. Ces trois baptêmes
l'ont conduit à une confirmation. "Je termine mon
bac et décembre et je commence ma maîtrise en océanographie
dès janvier."
Pour marquer cette révélation, Alexandre Forest
a rapporté une bouteille d'eau, prélevée
au 80e parallèle, et il l'a offerte à sa mère
à son retour. Une bouteille d'eau de mer pure et limpide,
comme un symbole de vie qui unit le grand-père, la mère
et le fils. Pouvait-il en être autrement puisque, comme
l'a écrit l'écologiste américaine, Rachel
Carson, "tout finit par retourner à la mer, à
Océanos, le fleuve circulaire, semblable au flot ininterrompu
du temps, le commencement et la fin."
JEAN HAMANN
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