L'accompagnatrice
La chercheure Elisabeth Lessard accompagne les
restaurateurs
qui choisissent de transformer leur établissement en
resto sans fumée
Elisabeth Lessard a déjà fumé. "Comme
95 % des gens qui travaillent dans la lutte au tabagisme",
ajoute-t-elle aussitôt à sa décharge. Même
après avoir pris la décision d'écraser pour
de bon, elle a continué à inhaler la fumée
de cigarette des autres; à la maison, où ses parents
fumaient, ou encore au travail, dans plusieurs restos du Vieux-Québec
et au Pub, "le fumoir de l'Université", dit-elle.
Bref, côté boucane, elle s'y connaît.
Par un curieux retour des choses, cette professionnelle
de recherche, rattachée à l'Unité québécoise
de recherche sur le tabagisme, un centre dirigé par Fernand
Turcotte du Département de médecine sociale et
préventive, aide maintenant des propriétaires de
restaurants à faire le grand saut vers un environnement
sans fumée. "Je ne fais pas de porte-à-porte,
mais il m'arrive de laisser ma carte dans les restos que je fréquente
pour offrir mes services aux propriétaires désireux
de donner un environnement sans fumée à leur clientèle
ainsi qu'à leurs employés. Parce qu'un environnement
sans fumée, c'est également une question de santé
au travail."
Son expertise dans ce domaine a aidé les sept restaurants
Cora de Québec et celui de Lévis à joindre
les rangs des établissements sans fumée de la région.
"C'est une décision importante pour un restaurateur
et, pour que la transition se fasse en douceur, il faut compter
entre quatre et six mois", insiste Elisabeth Lessard.
Elle vient tout juste de compléter un autre accompagnement
du genre avec le resto Chez Victor du chemin Sainte-Foy, qui
est devenu sans fumée le 1er septembre. "Nous aurions
sans doute pu faire la démarche seuls, mais l'expertise
d'Elisabeth nous a beaucoup aidés, reconnaît le
propriétaire, Fausto Venturelli. Elle m'a d'abord rencontré
pour discuter du plan d'action, puis elle a rencontré
les employés pour leur expliquer les avantages de la démarche
et les différentes étapes du processus. C'est aussi
elle qui a rédigé la politique non-fumeur du Victor
qu'on distribue aux clients qui en font la demande."
Pour la cause
Elisabeth Lessard fait ce travail gratuitement. "Tout
ce que je demande en échange aux propriétaires,
ce sont leurs données sur l'évolution de leur chiffre
d'affaires et sur l'achalandage de leur resto pour pouvoir documenter
l'impact du passage à un environnement sans fumée.
Il n'y a pas encore eu d'études là-dessus au Québec.
De plus, ces données pourraient s'avérer très
utiles pour convaincre d'autres restaurateurs." Les études
menées ailleurs sont cependant formelles, peut-on lire
dans le document qu'elle distribue aux personnes qui requièrent
ses services: "Le chiffre d'affaires d'un établissement
de restauration est identique ou augmente suite à la mise
en place d'une politique pour un environnement sans fumée".
En vertu de la loi québécoise, les restaurateurs
ont jusqu'en 2009 pour donner un environnement totalement sans
fumée à leurs clients ou pour construire une cloison
vitrée pour isoler les fumeurs. Elisabeth Lessard salue
le courage des propriétaires qui passent à l'action
dès maintenant. "La plupart des restaurateurs attendent
parce qu'ils craignent que l'interdiction de fumer n'affecte
leurs affaires."
Du côté de Chez Victor, le changement n'a pas
fait fuir la clientèle. "Ça passe comme dans
du beurre, reconnaît Fausto Venturelli. On reçoit
une douzaine de commentaires positifs pour un négatif.
En plus, ça rend la gestion des tables beaucoup plus simple.
Avant, les non-fumeurs voulaient être le plus loin possible
de la section fumeur. Lorsque le restaurant était plein,
ce n'était pas possible et il y avait régulièrement
des plaintes."
Ex-fumeuse convertie, Elisabeth Lessard reconnaît
que l'ardeur qu'elle met à convaincre les autres des vertus
de l'air pur ne lui a pas fait que des amis. "Je me suis
fait traitée de tous les noms par des fumeurs, mais j'ai
appris. Il faut savoir s'arrêter quand les gens ne veulent
rien entendre." Par contre, elle sent que l'aide qu'elle
apporte à ceux qui veulent se donner un environnement
sans fumée correspond parfaitement à ses valeurs.
"Pour moi, ce n'est pas juste une job, c'est une cause.
Ça m'aide à m'endormir plus facilement le soir."
JEAN HAMANN
|