Parutions
Le choc improbable
Les conséquences idéologiques du 11 septembre
2001 examinées par une équipe interdisciplinaire
Grâce à dix-sept auteurs en provenance de quatre
continents, un nouvel ouvrage dirigé par El-Mostafa Chadli
et Lise Garon vient remettre en question nos perceptions du 11
septembre 2001 et de ses conséquences. Tel que l'indique
son titre polémique, Et puis vint le 11 septembre,
L'hypothèse du choc des civilisations remise en question
veut aller à rebours du martèlement de lieux communs
qui sévit depuis la célèbre attaque terroriste,
et dont on commence à peine à mesurer la teneur
idéologique.
Plus largement que cela, l'ouvrage s'affaire à dégager
les enjeux contradictoires de ce qu'on appelle de manière
souvent très vague la mondialisation. Dans un cas comme
dans l'autre, il est question d'augmenter la circonspection devant
deux sujets qui s'entremêlent considérablement dans
l'actualité des deux dernières années.
Issus de disciplines comme les relations internationales, la
sociologie, la sémiotique, la philosophie, le droit et
l'anthropologie, ces divers spécialistes ont d'abord échangé
lors du Séminaire international de Rabat, au Maroc, en
juin 2002. Aujourd'hui, c'est simultanément en français,
en anglais et en arabe que sont publiées, dans trois éditions
différentes, les versions écrites des communications.
Dans leur introduction, les deux directeurs du collectif retracent
l'éclosion, au lendemain de la Guerre froide, d'une nouvelle
donne mondiale et de nouveaux schèmes idéologiques.
Chez l'essayiste américain Francis Fukuyama, la civilisation
occidentale est vue non seulement comme triomphante, mais comme
aboutissement de l'humanité, rien de moins, tandis que
Samuel Huntington prévoit une confrontation entre l'Occident
et les autres civilisations. En postulant l'échec relatif
des prévisions de Huntington à l'heure actuelle,
les préfaciers préparent le lecteur à mieux
saisir l'influence que ses thèses ont pu avoir sur la
politique étrangère américaine et sur la
sphère médiatique.
"Les formulations réductionnistes comme "l'Occident
et l'Islam", "la Civilisation et la Barbarie",
"Nous et Eux", "le monde civilisé et le
terrorisme sauvage" traduisent une représentation
du monde manichéiste et à prisme déformant,
en installant deux paradigmes de discours: celui de la "Civilisation",
associé aux valeurs positives du "bien", de
la "liberté", de la "démocratie",
des "droits de l'Homme", et celui de la "Sauvagerie"
véhiculant les valeurs négatives du "mal",
de la "servitude", de l''"oppression" et
de la "chefferie"." À l'encontre de cette
polarité simpliste, le livre souligne l'ambiguïté
extrêmement problématique du concept de civilisation,
ce qui rend automatiquement suspecte son utilisation politique.
Par delà le supposé choc des civilisations, on
est ainsi invité à considérer une situation
complexe autant qu'inédite, au lieu de s'en tenir à
des schémas qui font obstacle à l'amorce d'une
véritable pensée.
Le Coran malmené par la politique
Selon plusieurs spécialistes, la persistance des régimes
autoritaires au Moyen-Orient constitue un des principaux problèmes
du monde actuel, en contradiction avec une volonté de
rendre plus humains les rapports sociaux dans certaines sociétés.
Sans amalgamer de façon trop étroite l'idée
de guerre sainte à la fusion du religieux et du politique
toujours effectuée par quelques pays arabes, il convient
d'enquêter sur ce type d'option, comme le fait le professeur
Abdallah Makrerougrass dans un récent essai.
Dans L'État islamique, dernière des ignorances,
l'auteur développe une réflexion basée sur
l'histoire et l'anthropologie religieuse afin de mieux éclairer
le phénomène dit de l'"islam politique",
sujet qu'il maîtrise abondamment. On peut d'ailleurs présupposer
la continuité que le présent ouvrage peut entretenir
avec son précédent L'extrémisme pluriel,
paru en 2001 chez L'Harmattan, et qui abordait le cas de l'Algérie.
Ici, on nous propose d'abord de remonter aux textes coraniques
mêmes, afin de mieux juger les interprétations ayant
servi à effectuer des liens souvent forcés entre
la foi et l'action. "Notre recherche sociopolitique, historique
et doctrinale, dit l'essayiste, s'étendant jusqu'aux théorisations
des auteurs classiques qui ont nourri l'utopie d'une politique
de la loi religieuse, on sera inévitablement conduit à
reprendre la critique des significations qu'a pu revêtir,
au gré des considérations idéologico-partisanes,
ce concept d'autorité-pouvoir"; une recherche qui
s'attarde d'ailleurs également à la conception
chrétienne de ce concept à l'ère médiévale.
Dans une optique résolument comparatiste, Makrerougrass
distingue aussi les différentes tendances de l'interprétation
politique des textes sacrés musulmans, d'hier à
aujourd'hui : "Examiner de près les conditions d'accès
des sunnites et des chiites à la fonction califale ou
imâmite nous paraît donc essentiel pour comprendre
cette séculaire différence; comprendre pourquoi
une seule et même communauté arrive ainsi à
s'entendre sur le dogme, mais pas sur la chose politique qui
en découle."
Au terme de cette analyse des approches sunnites et chiites,
qui divergent malgré leurs liens historiques profonds,
l'auteur se positionne clairement contre un pouvoir religo-politique,
en déconstruisant les arguments fallacieux qui lui serviraient
de prétexte. Puis, en conclusion, il esquisse une vision
prospective de l'Islam de demain, donnant à son texte
un caractère aussi personnel que rigoureux. Respectueux
de l'Islam, Makrerougrass invoque une démocratie inspirée
de l'interprétation plus précise d'une tradition
subtile, à la différence de certains extrémistes
la manipulant.
THIERRY BISSONNETTE
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