Un simple calcul pour sauver des vies
L'installation de valvules cardiaques trop petites
causerait jusqu'à 1000 décès par an en Amérique
du Nord
On pourrait réduire de façon spectaculaire les
risques de mortalité associés au remplacement de
valvules cardiaques si les médecins se donnaient la peine
d'effectuer un simple calcul avant de procéder à
l'intervention chirurgicale. Voilà l'étonnante
et troublante conclusion qui se dégage d'une étude
rendue publique dans une récente édition du journal
scientifique Circulation, par une équipe du Centre
de recherche Hôpital Laval.
Dans cet article, les chercheurs Claudia Blais, Jean Dumesnil,
Richard Baillot, Serge Simard, Daniel Doyle et Philippe Pibarot
démontrent qu'une correspondance imparfaite entre la taille
de la prothèse installée pour remplacer une valvule
aortique - la porte qui contrôle le passage du sang entre
le ventricule gauche et l'aorte - et l'orifice aortique a d'importantes
répercussions sur la survie à court terme des patients.
Une disproportion patient-prothèse (DPP) modérée
double le risque de mortalité dans les 30 jours qui suivent
l'intervention alors qu'une DPP sévère augmente
ce risque par un facteur 11. Les chercheurs arrivent à
ces chiffres après avoir passé en revue 1 266 cas
de personnes opérées à l'Hôpital Laval,
entre janvier 1992 et décembre 2001. Les valvules installées
montraient une disproportion modérée dans 36 %
des cas et une disproportion sévère dans 2 % des
cas. "La situation n'est pas propre à l'Hôpital
Laval", précise Philippe Pibarot, titulaire de la
Chaire de recherche du Canada en maladies valvulaires cardiaques.
"En fait, ailleurs, c'est plutôt pire que mieux."
Le problème de DPP tient du fait que les chirurgiens choisissent
la grandeur de la prothèse en fonction de la mesure de
l'anneau valvulaire aortique du patient qui est souvent rétréci
en raison de la maladie. Ils installent donc des prothèses
trop petites qui entravent le passage du flot sanguin.
Plusieurs centres de chirurgie cardiaque, dont
la clinique Mayo, de Rochester, ont adopté la stratégie
de prévention mise de l'avant par les chercheurs de la
Faculté de médecine
Un impact réel sur le pronostic
Pourtant, il serait possible de prévenir ces problèmes
d'ajustement par un simple calcul, affirme Philippe Pibarot.
Il suffirait de calculer la surface du corps du patient à
partir de ses données morphométriques et de multiplier
cette valeur par le facteur 0,85 cm2 /m2. Le résultat
donne la surface minimale que doit avoir la prothèse valvulaire.
"Selon nos estimations, on pourrait éviter jusqu'à
1000 décès précoces par année en
Amérique du Nord si on utilisait cette stratégie",
ajoute le chercheur.
Pourquoi alors ne le fait-on pas systématiquement? "Plusieurs
chirurgiens pensaient - et certains pensent toujours - que la
DPP n'a pas vraiment d'impact sur le pronostic du patient, répond-il.
Notre article devrait contribuer à les convaincre du contraire."
Plusieurs centres de chirurgie cardiaque ont adopté la
stratégie de prévention de la DPP mise de l'avant
par l'équipe du Centre de recherche Hôpital Laval,
entre autres, la Mayo Clinic de Rochester au Minnesota, signale
Philippe Pibarot. "Les experts du Consensus canadien sur
la chirurgie valvulaire cardiaque viennent d'endosser une recommandation
pour que notre calcul fasse partie intégrante du processus
de sélection du type et de la taille de la prothèse
en salle d'opération. Par ailleurs, les compagnies Medtronic
et St. Jude Medical ont commandé plusieurs milliers de
tirés à part de notre article qu'elles diffusent
à l'ensemble des chirurgiens cardiaques à travers
le monde."
Le professeur Pibarot estime que l'article paru dans Circulation
pourrait même avoir des implications médico-légales.
"Considérant que la DPP est un problème qui
peut être en grande partie évité, le fait
de laisser une DPP sévère chez un patient qui subit
un remplacement valvulaire aortique pourrait éventuellement
être considéré comme un traitement inapproprié."
Cette année, les hôpitaux nord-américains
pratiqueront environ 80 000 remplacements de valvules aortiques.
"On prévoit que ce chiffre doublera d'ici 2015-2020,
en raison du vieillissement de la population", prévient
Philippe Pibarot.
JEAN HAMANN
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