Laïcité et religion: l'épreuve
des faits
Leurs mythes fondateurs influent sur la manière qu'ont
la France et les États-Unis de gérer publiquement
la religion
À priori, la France et les États-Unis affichent
des attitudes diamétralement opposées face à
la religion. Si le président américain aime à
citer la liberté religieuse comme un des fondements de
la constitution américaine, les autorités françaises,
de leur côté, se réfèrent fréquemment
à la laïcité comme valeur fondamentale républicaine
et l'expression de sa tolérance. Mais Selon T. Jeremy
Gunn, professeur à l'Université Emory à
Atlanta, ces discours relèvent davantage du mythe que
de la réalité historique.
Ce spécialiste du droit et de la religion inaugurait le
26 septembre, à Québec, un colloque international
de trois jours sur la gestion publique de la diversité
religieuse, organisé par le Centre d'analyse des politiques
publiques de l'Université Laval, en collaboration avec
la Faculté de théologie et de sciences religieuses,
par The Law and Religion Program de l'université américaine
Emory et l'International Center for Law and Religion Studies
de l'Université Brigham Young (Utah). Cette rencontre
réunissait pour la première fois des chercheurs
et des responsables publics français, canadiens, britanniques,
américains et russes préoccupés par les
questions des sectes, des nouveaux mouvements religieux et du
radicalisme des religions en Europe et en Amérique du
nord.
Dans son exposé, Jeremy Gunn a mis à mal certaines
croyances. Ainsi, si les Américains se souviennent que
les premiers immigrants ont fui l'intolérance en Europe
pour exercer leur culte sans entraves sur un nouveau continent,
le conférencier constate que dans les faits les puritains
installés au Massachusetts voulaient surtout y créer
un établissement religieux et exclure les dissidents,
et que l'intolérance religieuse régnait dans la
plupart des colonies américaines. Et Jeremy Gunn de pointer
du doigt "la discrimination active et virulente envers les
juifs dans beaucoup de parties des États-Unis", l'intolérance
envers les Témoins de Jéhovah, les Mormons et autres
groupes religieux, sans oublier le fait qu'il a fallu attendre
le 20e siècle pour qu'un président catholique,
John F.Kennedy, soit élu.
Pas tendre, la Révolution
L'analyse historique ne s'avère pas beaucoup plus
tendre pour la patrie de Robespierre. Rappelant l'appropriation
des biens de l'Église catholique par l'Assemblée
nationale en 1789, l'emprisonnement et le meurtre de nombreux
prêtres à Paris en 1792, la violence exercée
sur le clergé, puis la Loi sur la séparation de
l'Église et de l'État, en 1905 qui expropriait
toutes les églises bâties avant cette date, Jeremy
Gunn remarque que "la laïcité est moins le produit
de notions de tolérance () que celui du conflit et de
l'hostilité envers l'Église catholique romaine."
Pourtant, cela n'empêche pas aujourd'hui le gouvernement
français de financer les écoles religieuses, d'entretenir
les églises ou aux Français de suivre le calendrier
chrétien grâce aux nombreux jours fériés
chômés.
Le conférencier constate que la croyance en ces mythes
fondateurs aux assises plutôt branlantes ont des répercussions
sur la manière de gérer publiquement la religion.
Ainsi, les Américains, fiers de leur esprit religieux,
ont parfois tendance à minimiser les actes dangereux commis
par des croyants. Jeremy Gunn en veut pour preuve le laxisme
des autorités policières et judiciaires face aux
abus sexuels commis par le clergé catholique, et "la
mauvaise gestion de l'affaire des Davidiens à Waco et
d'autres groupes apocalyptiques."
L'autre problème concerne selon lui la méfiance
marquée envers les non-croyants dans la société
américaine qui les empêche d'accéder à
des postes publics d'importance. Du côté français,
le conférencier cite la méfiance des gouvernements
envers les sectes ou les signes religieux extérieurs comme
exemples de l'implication de l'État dans les affaires
religieuses. À l'entendre, la polémique actuelle
autour du fait que le port du voile à l'école nuirait
à laïcité montre bien que cette notion est
à dimension variable. Comme quoi les défenseurs
des droits de la personne ont toujours intérêt à
se méfier des mythes, même les plus humanistes.
PASCALE GUÉRICOLAS
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