
La plume et le goupillon
De la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, jusqu'au
début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, l'espace
littéraire québécois n'offre pas de phénomène
comparable au mouvement du renouveau littéraire catholique
français et, dans une moindre mesure, belge. En France,
les principaux porte-parole de ce mouvement ont pour noms Paul
Claudel, François Mauriac et Georges Bernanos. Un tel
phénomène comprend notamment la création
d'une revue littéraire accompagnée d'un manifeste
et d'un programme, la prise de conscience par les protagonistes
d'une identité, ainsi que la production d'anthologies.
Or, rien de tout cela n'a existé dans l'espace littéraire
québécois de l'époque et ce, malgré
les convictions religieuses de la plupart des écrivains.
"Je n'ai trouvé aucune manifestation de ce type",
affirme Cécile Vanderpelen, chercheure postdoctorale au
CRILCQ - Université Laval (Centre de recherche interuniversitaire
sur la littérature et la culture québécoises).
Selon elle, le catholicisme fait partie intégrante du
discours d'ici, mais il n'est jamais mis en perspective. "Il
est présent de manière latente et n'est jamais
au centre des oeuvres ni de la critique", ajoute celle qui
a prononcé une conférence sur le sujet, le mercredi
24 septembre au pavillon Charles-De Koninck.
Contrairement à la France et à
la Belgique,
le Québec de l'entre-deux-guerres n'a pas connu de mouvement
littéraire catholique
De Séraphin à Menaud
Cécile Vanderpelen a étudié des revues
littéraires de l'époque (Le terroir, La
revue moderne), des poètes comme Alfred Des Rochers
et Hector de Saint-Denys-Garneau, ainsi que des romanciers tels
que Claude-Henri Grignon (Un homme et son péché),
Ringuet (Trente arpents), Félix-Antoine Savard
(Menaud, maître draveur) et le chanoine Lionel Groulx
(L'appel de la race). Nulle part elle n'a trouvé
de préoccupations visant à proposer une esthétique
catholique particulière.
Si le Québec du temps n'a pu accoucher d'une littérature
catholique engagée, cela est dû à la mainmise
du clergé sur la littérature, comme sur la société
en général. "Les recherches récentes,
souligne la chercheure, ont pu montrer que la question de l'engagement
ne se pose qu'à partir du moment où la littérature
est suffisamment autonome. Or, celle du Québec ne l'était
pas." Dans la France et la Belgique du temps, l'Église
fait face à la sécularisation des institutions
et à une perte d'influence. Se sentant menacée,
elle s'ouvre à l'intervention des laïcs, notamment
des écrivains catholiques. Au Québec, où
l'Église est hégémonique et omniprésente,
la situation est tout autre.
"La question de l'engagement ne se pose
qu'à partir du moment où la littérature
est suffisamment autonome."
Des romans catholiques québécois
Il faut attendre le début des années 1940 pour
voir l'émergence d'un renouveau catholique du roman au
Québec. En 1941, Robert Charbonneau publie Ils posséderont
la terre. En 1957, Robert Élie publie Il suffit
d'un jour. Contrairement aux personnages des romans catholiques
français et belges, les personnages québécois
de ces deux romans ne sont pas en marche vers la rédemption
et le salut. "Laissés à eux-mêmes, incertains
de la route à suivre, ils avancent seuls, sans le secours
divin, explique Cécile Vanderpelen. Dans ces romans, la
non-rencontre, la rupture, l'incommunicabilité et le hiatus
entre l'Église et les fidèles apparaissent dans
toute leur force." La critique de la société,
elle, est acerbe. "Les personnages souffrent du dévoiement
de la foi et de leurs semblables, ils ne se reconnaissent pas
dans la communauté qui est la leur, indique-t-elle. Ce
monde, ils veulent le réformer, pas l'agrandir. C'est
très singulier."
YVON LAROSE
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