Nouveau mécanisme de contrôle des gènes
Le généticien Patrick Provost
contribue à une découverte fondamentale qui pourrait
bouleverser la façon de traiter les cancers et les infections
virales
Un autre jalon vient d'être posé dans l'élucidation
d'un nouveau mécanisme de contrôle de l'expression
des gènes. Patrick Provost, du Centre de recherche du
CHUL, et une équipe de chercheurs coréens et suédois
ont publié, dans l'édition du 25 septembre de la
revue britannique Nature, un pan d'information inédit
sur le mode de fonctionnement de ce mécanisme qui pourrait
bouleverser la façon de traiter les maladies qui résultent
de la surexpression d'un ou de plusieurs gènes.
Patrick Provost va même plus loin. À ses yeux, ce
mécanisme représente une "révolution
génétique", car il modifie notre conception
du dogme fondamental de la biologie qui veut que les gènes
soient exprimés par la voie ADN-ARN-protéines.
"Le mécanisme sur lequel portent nos travaux permet
de bloquer l'expression des ARN messagers et conséquemment
la synthèse des protéines, explique-t-il. Nous
nous trouvons donc devant une nouvelle façon de réguler
l'expression des gènes." Ce mécanisme serait
présent chez plusieurs classes d'organismes vivants, allant
des unicellulaires jusqu'aux plantes et animaux complexes. De
plus, son action est très spécifique, ce qui laisse
entrevoir la possibilité de cibler certains gènes
sans perturber la synthèse normale des autres protéines.
En cascades
Au coeur de cette mécanique complexe se trouvent de
courts segments d'ARN - appelés microARN -, considérés
jusqu'à tout récemment comme des produits de dégradation
métabolique qui traînaient dans la cellule. "Ces
microARN sont complémentaires aux ARN messagers, indique
Patrick Provost. Lorsqu'ils se fixent à eux, les ARN messagers
ne peuvent plus être traduits en protéines. Des
centaines de ces microARN ont été découverts
chez les plantes et les animaux au cours des deux dernières
années, mais on ne savait pas précisément
comment ils étaient synthétisés."
Pour mieux comprendre d'où proviennent ces régulateurs,
les chercheurs ont entrepris de remonter une à une les
étapes de la voie métabolique qui conduit à
leur synthèse. C'est ainsi qu'ils ont caractérisé
une enzyme, Dicer, qui fabrique les microARN en excisant
des segments d'ARN contenus dans une structure d'ARN à
deux brins en forme de tête d'épingle. "Nous
avons été la première équipe au monde
à exprimer l'enzyme Dicer de l'homme sous forme
recombinante", signale le chercheur, qui a d'ailleurs décrit
cette méthode dans un article publié en novembre
2002 dans The EMBO Journal. "Nous avons reçu
une cinquantaine de demandes de collaboration provenant de laboratoires
étrangers depuis la publication de cet article",
ajoute-t-il.
C'est d'ailleurs l'une de ces demandes qui a conduit Patrick
Provost à collaborer avec des chercheurs coréens
et suédois pour l'article de Nature. Dans cette
dernière publication, les chercheurs décrivent
l'étape qui précède la formation de la structure
en forme de tête d'épingle et le rôle qu'y
joue une enzyme nucléaire, appelée Drosha.
"Les deux enzymes, Drosha et Dicer, interviendraient
de façon séquentielle dans la production des microARN",
avance le chercheur.
Potentiel énorme
Certaines maladies qui résultent de la surexpression
d'un ou de plusieurs gènes - on pense entre autres au
cancer et aux infections virales - pourraient être liées
au mauvais fonctionnement de la voie métabolique qui conduit
à la synthèse des microARN. Cette hypothèse
ouvre de nouvelles perspectives dans le traitement de dérèglements
cellulaires de la sorte, estime Patrick Provost.
"Les microARN nous donnent le moyen de contrôler l'expression
d'ARN messagers spécifiques avec une précision
inouïe, avance-t-il. Grâce aux outils du génie
génétique, nous pouvons synthétiser ces
microARN et, éventuellement, nous pouvons envisager de
les administrer à des patients pour bloquer la synthèse
des protéines qui posent problème. Je crois que
le potentiel est énorme", conclut le chercheur du
CHUL.
JEAN HAMANN
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