La plus grande banquise arctique se rompt
L'événement constitue une preuve du réchauffement
de cette zone, rapportent des chercheurs du Centre d'études
nordiques
Des chercheurs du Centre d'études nordiques et de l'University
of Alaska Fairbanks viennent d'apporter une preuve du réchauffement
climatique de l'Arctique canadien. Les biologistes Derek Mueller
et Warwick Vincent, de l'Université Laval, et leur collègue
américain Martin Jeffries rapportent, dans la prochaine
édition de la revue scientifique Geophysical Research
Letters, que la banquise côtière de Ward Hunt,
située sur la côte nord de l'île Ellesmere
au Nunavut, s'est brisée soudainement entre 2000 et 2002.
Cette banquise de 443 km2 - un peu plus petite que l'île
de Montréal - était la plus vaste de l'Arctique.
Elle avait commencé à se former il y a 4 500 ans
et elle avait atteint sa pleine expansion depuis 3 000 ans.
Grâce à des photos prises par le satellite Radarsat,
les chercheurs ont observé la formation d'une première
fissure en avril 2000 et les images subséquentes ont confirmé
l'extension de cette fissure. Des observations aériennes
effectuées sur le terrain en 2002 ont montré que
la fissure s'était étendue du fjord jusqu'à
l'océan. En juillet et août 2002, l'équipe
de Warwick Vincent s'est rendue sur la banquise côtière
pour étudier la situation. Les chercheurs ont établi
que la structure s'était d'abord brisée en deux,
avant que des fissures secondaires ne la scindent davantage.
Le fractionnement de la banquise a engendré de nombreux
icebergs - on parle même d'îles de glace faisant
des kilomètres de long - qui posent des dangers pour
les navires qui circulent dans l'océan Arctique.
La mort d'un lac
Cette banquise côtière faisait office de barrage
à l'embouchure du fjord Disraeli, un bras de mer long
de 30 kilomètres, large de 5 km et qui atteint 400 mètres
de profondeur par endroits. Les 43 premiers mètres d'eaux
de surface du fjord étaient constitués d'eau douce
provenant de la fonte de la neige et de la glace des côtes
adjacentes, ce qui en faisait le plus grand "lac" de
ce genre dans l'hémisphère Nord. Des communautés
exceptionnelles de plancton d'eau douce et d'eau salée
proliféraient dans ces conditions singulières depuis
plus de 3 000 ans. La rupture de la banquise a provoqué
le drainage de presque toute l'eau douce du fjord Disraeli -
il n'en reste que 3 mètres en surface -, condamnant cet
écosystème très rare à un bouleversement
majeur. Le même sort guette les étangs glaciaires
qui se formaient chaque année sur la banquise à
la faveur de l'été boréal. Warwick Vincent
et son équipe du Département de biologie y menaient
des travaux pour mieux comprendre comment s'organise la vie dans
des conditions extrêmes rappelant celles qui prévalent
pendant les glaciations ou même sur d'autres planètes.
Selon les estimations des chercheurs, basées sur les données
météorologiques de la station d'Alert située
à 175 kilomètres à l'Est, la température
moyenne de l'air pour le mois de juillet aurait augmenté
de 1,3 degrés Celsius entre 1967 à 2002 au fjord
Disraeli. Les chercheurs concluent que le morcellement de la
banquise résulte du réchauffement climatique à
long terme enregistré depuis le 19e siècle, réchauffement
qui se serait accéléré depuis trois décennies
dans cette région du monde.
JEAN HAMANN
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