
Nelligan à Varsovie
La première traduction en polonais des
oeuvres du poète québécois paraît
grâce au travail d'une étudiante en littératures
C'est à l'Université de Varsovie, dans le cadre
d'un séminaire sur la littérature québécoise,
que Joanna Paluszkiewicz-Magner découvre pour la première
fois le poème "Soir d'hiver" d'Émile
Nelligan (1879 -1941). Quelques années plus tard, en 2000,
Jozef Kwaterko, qui enseigne les littératures française
et québécoise à Varsovie, demande à
Joanna, désormais étudiante au doctorat en littérature
québécoise à l'Université Laval depuis
1999, de lui traduire ce fameux poème pour un recueil
en préparation. Voilà le coup de pouce qui a donné
l'idée à la jeune femme de traduire 26 poèmes
du poète québécois en polonais, afin de
mieux faire connaître dans son pays d'origine l'oeuvre
de cette étoile filante de la littérature d'ici.
Paradoxalement, même si Nelligan demeure un inconnu pour
la plupart des Polonais, sa poésie a des résonances
dans la culture de ce pays. En effet, le poète a voué durant
toute sa vie une véritable passion à la musique
polonaise, en particulier aux compositions de Chopin, grâce
notamment au concert du pianiste virtuose Paderewski auquel
il a assisté à Montréal en 1896 et qui lui
a inspiré un poème. Portée par un grand
élan romantique, la poésie de Nelligan se consacre
à l'expression des sentiments, tout comme le font des
auteurs contemporains polonais, bercés eux aussi par les
mots de Verlaine ou de Baudelaire. Mais c'est peut-être
Paul Wyczynski qui symbolise le mieux les liens entre la Pologne
et Nelligan. D'origine polonaise, ce professeur à l'Université
d'Ottawa a contribué par son travail acharné à
tirer de l'oubli l'oeuvre du grand poète, et il signe
d'ailleurs la préface de l'ouvrage de Joanna Paluszkiewicz-Magner.
Le spleen nordique
Fascinée par le destin de cet auteur exceptionnel,
l'étudiante au doctorat a pris la pleine mesure de son
talent d'évocation en vivant les deux pieds dans la neige
québécoise. "J'ai mieux compris le spleen
de Nelligan dans "Soir d'hiver", car en Pologne l'hiver
n'est jamais aussi rude, ni aussi long qu'ici, confie Joanna
Paluszkiewicz-Magner.Dans "Paysage fauve", sa description
des grands espaces blancs correspond exactement à l'image
que je me faisais du Nord du Canada." Pour constituer son
recueil bilingue, simplement intitulé Émile
Nelligan, Poezje, la traductrice a d'abord choisi ses coups
de coeur, tout en incluant également quelques incontournables
comme "Le vaisseau d'or", un poème traduit en
18 langues, ou "La romance du vin".
Mais au fait, pourquoi traduire l'oeuvre d'un poète écrite
avec fougue dans sa jeunesse, il y a plus d'un siècle?
Justement, pour les jeunes d'aujourd'hui. En travaillant sur
les vers de ce génie incompris, Joanna a pensé
à nouveau à ces concours où de jeunes auteurs
de seize ans vêtus de noir déclament leurs poésies
en espérant que leurs mots changent le monde. Pour l'instant,
son recueil, publié chez Nowy Swiat, une maison d'édition
spécialisée dans la poésie, vise essentiellement
les étudiants et les chercheurs polonais intéressés
par la langue française. L'étudiante, qui poursuit
une thèse sur le romantisme québécois et
américain au 19ème siècle en littérature,
tout en collaborant à la recherche du projet La vie
littéraire au Québec, envisage également
d'autres sujets de traduction. Elle pourrait ainsi produire une
version polonaise de l'intégralité de l'oeuvre
de Nelligan, ou s'attaquer aux poèmes de Gaston Miron.
PASCALE GUÉRICOLAS
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