Question de taille pour l'if
La biologie de l'if du Canada prédispose mal cet arbuste
à une exploitation intensive
Est-il possible d'exploiter l'if du Canada pour ses composés
anticancéreux sans pour autant conduire cette espèce
au bord du gouffre, comme dans le cas de l'if de l'Ouest? Les
premiers résultats d'une équipe du Centre de recherche
en biologie forestière (CRBF) portent à croire
que la chose est faisable, mais qu'il faudra faire montre d'une
grande prudence.
L'étudiant-chercheur Richard Daigle, et ses codirectrices
Alison Munson, du Département des sciences du bois et
de la forêt, et Line Lapointe, du Département de
biologie, viennent de démontrer qu'une taille répondant
aux normes actuellement en vigueur au Québec réduit
la croissance de la plante l'année suivante. Contrairement
à d'autres espèces qui croissent avec vigueur après
taille, la biomasse des repousses des tiges coupées est
près de 12 fois inférieure à celle des tiges
laissées intactes chez l'if du Canada. "En termes
de masse totale des pousses annuelles, les différences
entre groupes étaient moins importantes, mais on observe
tout de même une diminution de biomasse avec l'augmentation
de l'intensité de coupe", a précisé
Richard Daigle, lors d'une conférence prononcée
le 9 septembre à la Faculté de foresterie et de
géomatique.
L'if produit des taxanes, une famille de molécules toxiques
qui lui servent de moyen de défense, probablement contre
les insectes, précise l'étudiant-chercheur. Découvertes
dans l'écorce de l'if de l'Ouest au début des années
1960, les taxanes servent à la fabrication de produits
pharmaceutiques utilisés dans le traitement de certains
cancers, notamment ceux du sein et de l'ovaire. Le prélèvement
commercial de l'écorce qui s'ensuivit a décimé
les populations naturelles de cette espèce. "Comme
la synthèse totale des molécules actives coûte
cher, les compagnies pharmaceutiques se sont tournées
vers une nouvelle source de taxanes, l'if du Canada", rappelle
Richard Daigle. Chez cette espèce, les taxanes proviennent
des tiges et des aiguilles, ce qui, en principe, permet son utilisation
durable.
En principe, bien sûr, parce que l'augmentation rapide
de la demande en taxanes - les prévisions de croissance
sont de l'ordre de 20 % par année pour la prochaine décennie
- exerce une forte pression sur les populations d'if du Canada.
Un kilo de taxanes vaut jusqu'à 500 000 $, mais ces précieuses
molécules se retrouvent en très faibles concentrations
dans la plante. Pour obtenir un kilo de paclitaxel, une des taxanes
les plus recherchées par les compagnies pharmaceutiques,
il faut environ 30 tonnes métriques de biomasse verte.
Sauver la poule et l'oeuf
Comment optimiser la récolte de taxanes sans tuer
la plante aux tiges d'or? C'est la question à laquelle
s'est attaquée l'équipe du CRBF, grâce au
soutien financier de Bioxel Pharma, une jeune compagnie pharmaceutique
de Québec qui souhaite intensifier sa récolte d'ifs
sans pour autant nuire à cet arbuste sur lequel repose
son avenir.
Les premiers résultats obtenus au site expérimental
de la station forestière de Duchesnay, où les chercheurs
pratiquent des tailles de diverses intensités à
différents moments de l'année, livrent un message
de prudence. "La réponse à la taille n'est
pas très favorable chez l'if, signale la professeure Line
Lapointe. En plus de réduire la croissance, la taille
provoque l'apparition de nombreuses petites pousses qui se font
compétition pour la lumière déjà
peu abondante dans le sous-bois."
S'il est clair qu'on ne peut recouper les mêmes tiges à
tous les ans sans perturber la plante, les chercheurs ignorent
encore la période idéale d'attente entre deux tailles.
"Nous allons retourner sur le site trois ans et cinq ans
après coupe pour déterminer si les plantes ont
réussi à compenser la diminution de biomasse, explique
Line Lapointe. D'ici là, comme nos résultats montrent
que l'if du Canada est une espèce sensible à la
coupe, il ne faudrait pas pratiquer des coupes plus drastiques
que celles qui sont présentement prescrites au Québec."
JEAN HAMANN
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