
L'aspirine préviendrait le cancer de la prostate
La consommation régulière et prolongée
de ce médicament réduirait jusqu'à 30 %
le risque d'être frappé par cette maladie
On ne soigne pas un cancer avec de l'aspirine, mais on pourrait
peut-être le prévenir. Voilà l'étonnante
conclusion à laquelle arrivent des chercheurs de la Faculté
de médecine qui ont analysé comment la consommation
régulière d'aspirine, pendant plusieurs années,
affectait le risque de souffrir d'un cancer de la prostate.
Linda Perron, Isabelle Bairati, Lynne Moore et François
Meyer, du Centre de recherche en cancérologie, rapportent
dans une récente parution de l'International Journal
of Cancer que la prise quotidienne de 80 mg d'aspirine (moins
d'un comprimé régulier), pendant quelques années,
réduit le risque de cancer de la prostate jusqu'à
30 %. La dose requise pour produire cet effet protecteur est
inférieure à la dose quotidienne recommandée
aux personnes qui prennent de l'aspirine pour ses propriétés
anti-inflammatoires.
Cette étude repose sur des données provenant
du fichier de la Régie de l'assurance-maladie du Québec,
où sont consignés les médicaments prescrits
sous ordonnance médicale. Les chercheurs ont suivi un
groupe de 13 000 hommes, âgés entre 73 et 79 ans,
et à partir des quelque 156 000 prescriptions émises
sur une période de huit ans, ils ont évalué
la dose, la durée et le patron d'exposition (prise régulière
ou intermittente) à l'aspirine chez tous ces sujets. Ils
ont ensuite mis en relation l'apparition de cancer de la prostate
pendant les deux années subséquentes et l'exposition
antérieure à l'aspirine.
Seuls les sujets qui ont consommé de l'aspirine pendant
au moins quatre ans ont profité de l'effet protecteur
du médicament contre le cancer. Cet effet s'est accentué
avec le temps d'exposition, atteignant même 34 % lorsque
la prise d'aspirine dépassait six ans. Cependant, le risque
de cancer de la prostate est retourné à la normale
en moins d'un an chez les sujets qui cessaient la prise de ce
médicament. Selon la lecture des chercheurs, ceci laisse
supposer que l'aspirine n'empêche pas le cancer à
proprement parler, mais plutôt qu'il retarde le développement
des cellules cancéreuses présentes dans l'organisme.
Restons calmes Le mécanisme par lequel l'aspirine procure une protection
contre le cancer divise les scientifiques. Certains croient que
l'aspirine restaurerait l'apoptose - la mort cellulaire programmée
-, une propriété des cellules normales qui disparaît
dans les cellules cancéreuses. D'autres avancent que le
médicament inhiberait le développement de vaisseaux
sanguins (angiogénèse), ce qui bloquerait l'apport
nutritif aux cellules cancéreuses en développement.
L'aspirine avait déjà démontré
son effet protecteur contre le cancer colorectal et contre certains
autres cancers. "Dans le cas du cancer de la prostate, les
études antérieures avaient produit des résultats
montrant tantôt une diminution, tantôt une nette
augmentation du risque, rappelle Linda Perron. Notre étude
est la première à considérer à la
fois l'effet de la dose, de la durée de prise du médicament
et du patron d'exposition."
Malgré l'effet protecteur assez costaud que procure
l'aspirine, la chercheure ne recommande pas la prise quotidienne
de ce produit à des fins préventives contre le
cancer de la prostate. "C'est trop tôt pour ça,
avertit-elle. Et même si les études en cours devaient
démontrer que les effets secondaires sont négligeables,
la prévention par de bonnes habitudes de vie serait encore
préférable à cette forme de chimioprévention."
JEAN HAMANN
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