Fernand Turcotte estime que les universités
devraient se tenir le plus loin possible de l'industrie du tabac
Au début de l'été, la croisade de Fernand
Turcotte contre l'industrie du tabac s'est déplacée
sur un nouveau front. Dans l'édition de juin de la revue
scientifique australienne Drug and Alcohol Review, le
professeur du Département de médecine sociale et
préventive signe un éditorial incisif dans lequel
il explique à son auditoire international pourquoi les
universités devraient se tenir le plus loin possible des
manufacturiers de cigarettes.
Son argumentaire devait d'abord être présenté
dans la section "Débat" de la revue, flanqué
du texte d'un autre universitaire plaidant en faveur du maintien
des relations entre les universités et les fabricants
de cigarettes. L'idée d'un pareil "débat"
a germé dans le cerveau de l'éditeur de la revue
lorsque l'Université de Nottingham - une institution située
dans une région de l'Angleterre où prendre l'argent
des riches pour le remettre aux moins nantis fait partie de la
tradition - a accepté 3,8 millions de livres de la British
American Tobacco pour créer, sur son campus, un centre
pour la responsabilité sociale des entreprises! Après
une année de démarches auprès d'universitaires
britanniques, australiens ou américains financés
par l'industrie du tabac, l'éditeur a dû revoir
ses plans parce qu'aucun des chercheurs contactés n'a
accepté de défendre publiquement ses rapports avec
l'industrie du tabac.
Trois raisons
Selon Fernand Turcotte, la première raison pour laquelle
les universités ne devraient entretenir aucune forme de
coopération avec les fabricants de cigarettes tient à
la mission universitaire même. "Les universités
sont vouées à la recherche de la vérité
et à la transmission des connaissances, plaide-t-il. Elles
ont un rôle critique à jouer dans le contrôle
de l'épidémie de tabagisme et elles doivent se
placer à l'abri de toute manoeuvre qui pourrait entraver
leur quête de vérité. Pour sauvegarder leur
autorité morale et leur crédibilité, elles
doivent renoncer à toute forme de coopération avec
l'industrie du tabac."
Deuxième raison, l'industrie du tabac présente
encore comme controversées les études scientifiques
qui établissent les méfaits de la cigarette sur
la santé. "L'industrie a abondamment utilisé
cette stratégie depuis un demi-siècle et elle tente
de s'associer aux universités pour maintenir l'efficacité
de cette duperie. Elles utilisent leurs liens avec les universités
comme preuves de leur bonne foi."
"Le cartel de la nicotine a choisi de nier l'évidence
pour protéger sa prospérité"
Enfin, le comportement irresponsable de l'industrie du tabac
justifie le divorce total, juge-t-il. "À ses débuts,
cette industrie pouvait plaider l'ignorance des méfaits
de ses produits, mais, depuis les années 1950, ce n'est
plus le cas. Le cartel de la nicotine a choisi de nier l'évidence
pour protéger sa prospérité. Plutôt
que d'investir dans l'amélioration de ses produits, cette
industrie a lancé une attaque massive et systématique
pour contrer les preuves scientifiques et pour retarder toute
forme de contrôle sur la fabrication et l'utilisation des
produits du tabac."
Tenir ferme la barre
L'industrie du tabac maintient et encourage la dissémination
de l'épidémie mondiale de tabagisme, poursuit Fernand
Turcotte. "À cette fin, elle s'achète des
indulgences et de l'influence par ses contributions aux caisses
électorales des partis, par des dons à des organismes
de bienfaisance et par la commandite d'événements
sportifs et culturels." D'ailleurs, dans le dossier du Grand
Prix de Montréal, la polarisation d'une partie de l'opinion
publique et des journalistes sportifs contre les militants antitabac
- qu'on dépeint maintenant comme des curés, des
intégristes, des ayatollahs et des bigots qui veulent
imposer la vertu - fait partie de la stratégie des compagnies
de tabac, croit le professeur Turcotte. "Si la cigarette
relevait d'une question de morale, j'aurais le devoir de me taire
parce que je ne suis pas curé, lance-t-il. Mais comme
c'est une question de maladies et de pharmacodépendance,
c'est mon devoir professionnel, à titre de médecin
spécialisé en santé publique, de faire valoir
ma position."
Le professeur Turcotte salue d'ailleurs la volonté des
politiciens canadiens qui, jusqu'à présent, n'ont
pas cédé au chantage des dirigeants de la Formule
1. "Le Canada est reconnu pour sa position énergique
dans la lutte contre le tabagisme. Céder constituerait
un geste symbolique qui serait récupéré
par les fabricants de cigarettes pour réclamer un assouplissement
des lois antitabac dans tous les autres pays", croit-il.
JEAN HAMANN
|