
LE COURRIER
LE MONDE SELON WALLERSTEIN
Dans son article intitulé "Devant nous, le chaos",
paru dans la New Left Review du 22 juillet 2003, Immanuel
Wallerstein, l'auteur d'une théorie sociologique du conflit
basée sur le système-monde, analyse l'évolution
de ce système en se référant à la
politique étrangère des États-Unis et à
la géopolitique. Selon ce sociologue, depuis les années
1970, la politique étrangère américaine
- qui a toujours eu deux objectifs: empêcher l'émergence
d'une entité politique européenne indépendante
et maintenir la supériorité militaire américaine
en empêchant les pays du Sud de se doter d'armes nucléaires
- s'est soldée par un échec cuisant. L'Union européenne
se renforce de plus en plus et certains pays dits du Sud commencent
à se doter d'armes nucléaires; c'est le cas de
la Corée du Nord, de l'Inde et du Pakistan. En plus, ces
derniers ne croient plus au développement économique
promis par les pays du Nord.
Pour remédier à cette situation, le camp des militaristes
classiques tels le vice-président, M. Cheney, et le Secrétaire
à la Défense, M. Rumsfeld, l'a emporté contre
celui des néoconservateurs (M. Wolfowitz et M. Perl) et
celui de la droite chrétienne. Comme solution, l'usage
de la force militaire pour assujettir tout régime récalcitrant
et la stratégie d'intimidation sont préconisés.
Pour cela, Wallerstein prévoit une guerre sans fin.
Dans Executive Intelligence Revue (juin 1997: 2), il est
écrit: "The wars in East Africa 1990-1997 are the
direct and deliberate result of policies and programs initiated
by British intelligence, as this news service has documented
in detail over the last three years. Propelled by the ongoing
collapse of the global financial system, the British oligarchy
arrayed in the Privy Council to the British monarchy, with
powers and financial wealth throughout the British Commonwealth
is seeking to carry out one of the biggest land grabs in
African history. The aim is to secure the property rights and
cartelized control over Africa's vast wealth in strategic minerals
and food production, for companies such as Sir George Bush's
Barrick Gold".
D'autre part, le journaliste indépendant René Lefort
écrit dans le quotidien Libération du vendredi
1er août 2003: "Le Congo n'est plus une destination
prioritaire des grands investisseurs miniers depuis deux décennies
au moins: ils ont trouvé ailleurs, y compris en Afrique,
des gisements équivalents dont l'exploitation est parfaitement
sûre. La ruine de l'économie moderne du Zaïre,
la désagrégation de l'État de droit, la
montée de l'informel dans tous les domaines, l'emprise
croissante de l'ethno-régionalisme les ont détournés
de ce pays, même quand les Occidentaux gratifiaient encore
le président Mobutu d'un appui sans réserve parce
qu'il était le pilier régional de l'anticommunisme".
Lefort accuse le Rwanda et l'Ouganda de mettre sous tutelle un
Congo implosé en écartant les multinationales minières
(les interloques) et leurs pays d'origine comme premiers responsables
des conflits dans cette région.
Cela n'est pas l'avis de tout le monde. Parlant du Kivu, Jeffrey
Steinberg (1996) écrit dans Nouvelle Solidarité
: "Dans cette région, les compagnies minières
canadiennes, britanniques et sud-africaines manuvrent pour s'emparer
des énormes richesses minérales, une fois que l'attention
sur le génocide actuel ne fera plus la une des journaux".
Sur le terrain, les changements s'effectuent selon la volonté
de Washington. N'est-ce pas que l'Armée patriotique rwandaise
avait quitté en mars dernier le territoire congolais sous
l'instruction du président Bush junior? Cette opération
avait pris une semaine seulement. Aujourd'hui, l'armée
rwandaise est retournée en République démocratique
du Congo sans aucune inquiétude. Plus encore, depuis le
30 juillet 2003, l'administration américaine a décidé
de lever l'embargo sur la vente de matériel militaire
au gouvernement rwandais.
Wallerstein conclut en disant que nous entrons donc dans une
période de grande incertitude et, dans les moments d'anarchie
systémique comme maintenant, tout peut arriver. Les tendances
lourdes lui semblent être les suivantes: l'actuel gouvernement
américain est engagé dans une politique extérieure
unilatérale et agressive; l'intégration européenne
va continuer, avec beaucoup de difficultés, et l'Europe
va se distancier des États-Unis d'Amérique; la
Chine, la Corée et le Japon vont se rapprocher, un projet
encore plus compliqué que celui de l'Europe, mais d'une
importance géopolitique énorme; la prolifération
nucléaire dans le Sud va continuer de s'étendre;
le mandat impérial assumé par les États-Unis
va miner sa légitimité morale dans le système-monde;
les États-Unis vont regretter la tempête qu'ils
ont déclenchée en Irak; plus encore, les alliés
des États-Unis seront partagés. Certains vont chercher
à négocier avec les pays du Sud, tandis que d'autres
vont rester avec les États-Unis. D'où une guerre
sans fin.
C'est en lisant l'article de Muriel Mirak-Weissbach intitulé
"Berlin Seminar: It's No Recession, It's A Collapse Of
The System (EIR, 16 novembre 2001 : 23) sur la conférence
de Lyndon LaRouche qu'apparaissent quelques suggestions pour
faire face au chaos qui sonne déjà à nos
portes, un espoir moins rassurant.
CHARLES KATEMBO KAKOZI
Étudiant en sociologie
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