Société des nations?
Un sondage révèle que l'identité européenne
reste à faire
L'Union européenne se construit progressivement, notamment
sur les plans politique et économique. Mais les citoyens
des différents pays qui la composent se sentent-ils européens
pour autant? Français, Allemands ou Italiens ont-ils un
sentiment d'attachement à l'Europe, ont-ils une identité
européenne? Bref, assiste-t-on, sur le Vieux Continent,
à l'émergence d'une mémoire commune s'appuyant
entre autres sur de grandes figures historiques?
Un important sondage, mené l'hiver dernier par l'Institut
CSA auprès de 6 000 répondants répartis
entre six pays (Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne,
Italie, Pologne), a tenté de répondre à
ces questions. "Le sondage a largement démontré
que cette mémoire européenne, pour le moment, ne
fonctionne qu'à travers les mémoires nationales",
indique Bogumil Koss, professeur au Département d'histoire
et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire
comparée de la mémoire. "Chacun entre dans
l'Europe à travers son imaginaire et ses figures nationales
tout d'abord", ajoute celui qui était membre du comité
scientifique du sondage et responsable de l'analyse des résultats
polonais.
Léonard de Vinci et Winston Churchill
Le sondage comprenait trois questions. Deux d'entre elles
invitaient les répondants à choisir, parmi deux
listes de 14 noms de personnages anciens (antérieurs au
19e siècle) et modernes (19e et 20e siècles), ceux
qui semblaient représenter le mieux l'identité
européenne. Léonard de Vinci (25 % des réponses),
Christophe Colomb (21 %) et Martin Luther (19 %) ont été,
dans l'ordre, les choix les plus populaires chez les personnages
anciens. Parmi les personnages modernes proposés, Winston
Churchill (22 % des réponses), Marie Curie et Charles
de Gaulle (ex æquo avec 19 %) occupaient les premier
et deuxième rangs. La popularité d'une scientifique
comme Marie Curie ou d'un artiste comme Léonard de Vinci
s'expliquerait, selon Bogumil Koss, par le fait que les répondants
ont choisi moins des individus que les valeurs qu'ils représentent.
"Les figures associées à la guerre, dit-il,
sont relativement peu nombreuses alors que la culture et la science
ressortent beaucoup plus. Parce que cette Europe est quand même
vue comme un espace qui doit rendre impossible le retour aux
guerres mondiales. Une scientifique comme Marie Curie est, d'une
certaine manière, plus universelle. Et choisir une femme
plutôt qu'un homme s'inscrit dans cette idée d'une
Europe plus juste par rapport au passé."
Des références nationales d'abord
L'autre question, ouverte celle-là, se formulait ainsi:
"Si vous pouviez vous entretenir pendant une heure avec
un personnage historique célèbre représentant
l'identité européenne, qui choisiriez-vous?"
Avec 29 % des réponses, Charles de Gaulle a été
le choix le plus populaire des Français. Du côté
des Britanniques et des Allemands, et à l'instar des Espagnols,
des Italiens et des Polonais, les choix les plus populaires ont
été, non pas des personnages du passé, mais
des figures d'aujourd'hui, toutes actives par ailleurs en politique.
Ainsi, 29 % des répondants britanniques ont choisi le
Premier ministre Tony Blair et 30 % des répondants allemands
ont choisi le ministre des affaires étrangères
Joschka Fischer.
Dans cette question ouverte, les répondants ont donc eu
une forte tendance à privilégier les personnages
de leur propre pays. Même chose quant à la liste
fermée des grandes personnalités des 19e et 20e
siècles. Dans cette liste, 60 % des interviewés
britanniques ont choisi Winston Churchill, 51 % des répondants
français ont choisi Charles de Gaulle et 44 % des interviewés
allemands ont choisi Konrad Adenauer comme personnages semblant
représenter le mieux l'identité européenne.
"Ce qui se dégage du sondage est que l'Europe est
une Europe de nations et non d'individus, soutient Bogumil Koss.
Donc dans la partie contemporaine de la question fermée,
les répondants ont surtout choisi des figures à
connotation essentiellement nationale, mais qui ont une portée
générale. Ainsi de Gaulle et Adenauer, les pères
politiques de la nouvelle Europe." Selon lui, le "présentéisme"
de notre époque a aussi influencé les répondants.
"Les gens, indique-t-il, sont sensibles à l'action
et aux valeurs auxquelles ils peuvent s'identifier aujourd'hui
et maintenant."
YVON LAROSE
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