
Sur les traces d'Amundsen
Un navire scientifique, plus de 200 chercheurs et un budget de
67 M$: la table est mise pour la plus importante mission scientifique
canadienne en océanographie arctique
Mardi, les quelque 400 personnes qui s'étaient rassemblées
au quai de la Reine du Port de Québec avaient trois bons
motifs pour célébrer. D'abord, l'événement
marquait la fin des travaux qui ont vu le brise-glace Sir John
Franklin se métamorphoser en navire scientifique. Ensuite,
la fête marquait le départ prochain, à bord
de ce bâtiment, de l'expédition scientifique CASES
vers l'Arctique. Enfin, la rencontre a lancé officiellement
les activités du réseau ArcticNet, "peut-être
l'élément le plus important et le plus excitant
de notre stratégie pour aider à reconstruire l'effort
de recherche canadien dans l'Arctique", affirme le capitaine
de ces trois projets, Louis Fortier, directeur du groupe de recherche
interuniversitaire Québec-Océan.
Le gouvernement fédéral a largement ouvert ses
coffres pour assurer la réussite de ces projets qui le
positionnent stratégiquement en recherches arctiques:
28 M$ de la Fondation canadienne pour l'innovation et 3 M$ de
Pêches et Océans Canada pour la transformation du
brise-glace en navire scientifique, 26 M$ pour ArcticNet, un
Réseau centres d'excellence, et enfin 10 M$ du CRSNG pour
étudier l'impact du réchauffement climatique sur
l'Océan arctique dans le cadre du projet CASES. Une facture
totale de 67 M$, soit l'un des plus importants montants jamais
accordés à un groupe de recherche canadien.
Du froid plus chaud
"Il est de plus en plus évident que le climat
de la planète se réchauffe en réponse à
l'émission massive de gaz à effet de serre par
l'industrie, souligne Louis Fortier. C'est dans les régions
arctiques et subarctiques que ce réchauffement est le
plus intense et l'immense banquise qui recouvre l'Océan
arctique a commencé à fondre. Si la tendance observée
depuis 30 ans se maintient, cet océan normalement glacé
pourrait être complètement libre de glace pendant
les mois d'été dès 2050."
Les conséquences du réchauffement de l'Arctique
risquent d'être "spectaculaires et dramatiques",
prédit le chercheur. L'ouverture du Passage du Nord-Ouest
entraînera une intensification du trafic maritime intercontinental
qui va non seulement changer la face de l'économie mondiale,
mais modifier en profondeur le paysage industriel de l'Arctique.
"Les ressources halieutiques et les immenses réserves
de carburant fossile du bassin arctique vont devenir exploitables,
ce qui offrira à la fois des défis environnementaux
et des opportunités économiques exceptionnelles
aux habitants du Nord et aux Canadiens en général",
poursuit-il. Cet eldorado polaire risque d'entraîner une
ruée vers le Nord et de relancer la question de la souveraineté
canadienne sur ces territoires.
Selon le biologiste Louis Fortier, les conséquences
du réchauffement de l'Arctique risquent d'être "spectaculaires
et dramatiques"
Pendant 12 mois, à bord de l'Amundsen, l'équipe
de la mission CASES sera à l'écoute des manifestations
du changement climatique dans la mer de Beaufort. "Nous
allons démonter et examiner les moindres rouages de cet
écosystème, de façon à mieux anticiper
le comportement et le rôle de l'ensemble de l'Océan
arctique dans un contexte climatique plus chaud, explique Louis
Fortier. Cette mission représente certainement l'effort
scientifique le plus important jamais mis sur pied par le Canada
en océanographie arctique et peut-être même
la mission internationale la plus multidisciplinaire et la plus
complexe jamais entreprise pour étudier cet océan
mal connu." Au total, 45 chercheurs principaux provenant
de 13 universités et de 4 organismes gouvernementaux du
Canada ainsi qu'une trentaine de chercheurs de 9 autres pays,
sans compter les dizaines d'étudiants-chercheurs, les
techniciens et les professionnels de la Garde Côtière
canadienne, participeront à la mission CASES.
Le brise-glace scientifique grâce auquel cette mission
sera réalisée a été baptisé
Amundsen, en l'honneur du norvégien Roald Amundsen,
premier explorateur à franchir le Passage du Nord-Ouest
il y a maintenant 100 ans. À noter que le bâtiment
de 98 m de long, propriété de la Garde côtière
canadienne, aura une double vocation. Tous les étés,
il servira aux travaux de recherche dans l'Arctique alors que
l'hiver, il retournera à sa vocation première sur
le Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay.
Dégel politique
Le dernier mégaprojet issu de l'esprit de Louis Fortier
déborde les strictes frontières de la science.
Le réseau de centres d'excellence ArcticNet, financé
par le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil
de recherches en sciences naturelles et génie et les Instituts
de recherche en santé du Canada, conduira à la
"formulation de politiques et de stratégies nationales
pour préparer le Canada à faire face aux conséquences
environnementales et socio-économiques des bouleversements
climatiques provoqués par le réchauffement de l'Arctique",
explique-t-il. Au total, 145 chercheurs canadiens et étrangers
provenant de 41 universités, 2 industries et 27 ministères
collaboreront à ce projet multidisciplinaire. On y retrouvera,
côte à côte, des physiciens, biologistes,
anthropologues, sociologues, politologues et épidémiologistes.
Cette imposante équipe réalisera des études
d'impact régionales intégrées sur les écosystèmes
et les sociétés de l'Arctique, incluant les mers
intérieures de Baffin et d'Hudson, soit une aire d'étude
qui équivaut à près de 50 % du territoire
canadien. Les chercheurs feront appel aux Inuits et à
leurs connaissances approfondies du milieu pour mener à
bien cette vaste entreprise.
JEAN HAMANN
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