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Les démons sous la cendre
Les études de doctorat de Julie Gagné
porteront sur le deuil du passé colonial en République
démocratique du Congo
"J'ai eu un parcours multidisciplinaire et c'est un peu
le drame de ma vie!", s'exclame Julie Gagné, finissante
à la maîtrise en histoire. J'ai des intérêts
dans tout. Au secondaire, je pensais faire le métier de
comédienne. J'ai fait du théâtre et des concours
d'art oratoire. J'aime tout et je veux tout faire. Mais il faut
choisir." Des choix décisifs, l'étudiante
originaire de Granby en a fait ces dernières années.
Et des choix gagnants. Après des études de baccalauréat
en histoire et en journalisme à Laval, elle a entrepris
des études de maîtrise en histoire de l'Afrique.
Son mémoire, dont elle achève la rédaction,
a été réalisé dans le cadre des travaux
de la Chaire de recherche du Canada en histoire comparée
de la mémoire. Et grâce à l'excellence de
son dossier universitaire, elle a été sélectionnée
pour recevoir une bourse d'une valeur de 35 000 $ par année
de la Fondation Trudeau, du nom de l'ancien Premier ministre,
pour les études de doctorat qu'elle entreprendra prochainement.
"Ma maîtrise et mon doctorat portent sur des sujets
différents mais ils concernent l'Afrique et la communication",
précise-t-elle. Pour son mémoire, Julie Gagné
a fait un stage de six mois en Mauritanie où elle a étudié
la pratique du journalisme. "Dans ce pays, dit-elle, le
journalisme est une manifestation hybride de la communication.
Il emprunte autant aux traditions orales qu'aux formes écrites
de communication." Son doctorat portera, quant à
lui, sur le deuil du passé colonial en République
démocratique du Congo. Ce pays, colonisé par la
Belgique à compter de 1876, a obtenu son indépendance
en 1960. "Au Congo comme en Belgique, explique-t-elle, le
deuil du passé colonial est pour certains demeuré
douloureux et problématique encore aujourd'hui. Après
une quarantaine d'années, je veux savoir comment les gens
vivent avec ce passé."
Un démon à exorciser
Même si sa maîtrise n'est pas complètement
terminée, Julie Gagné a déjà jeté
les bases de son doctorat en réalisant deux terrains de
recherche préparatoires, le premier à Québec,
en 2001 et le second à Lubumbashi, en 2002. "À
Québec, j'ai fait un premier tournage et des interviews
avec des Belges dans le cadre d'un colloque sur la mémoire
belgo-congolaise, rappelle-t-elle. À Lubumbashi, j'ai
filmé, pendant une semaine, une série d'activités
sur la mémoire qui réunissaient des Congolais et
des Belges." Même si c'est contraire à la rectitude
politique, il arrive que les plus âgés expriment
une certaine nostalgie de l'ère coloniale. "Il y
a un débat où certains disent qu'il existe une
nostalgie du passé et qui se demandent s'il est correct
d'en parler et si oui, de quelle façon, poursuit Julie
Gagné. Pourquoi, encore aujourd'hui, des Belges et des
Congolais tentent-ils de maintenir cette mémoire vivante?
Sans doute pour exorciser le démon colonial. Ce débat
a aussi une dimension intergénérationnelle. Les
plus jeunes disent: Préoccupons-nous du présent
et du futur du Congo plutôt que de réveiller les
fantômes du passé."
Une chercheure engagée
Une des exigences de la Fondation Trudeau consiste pour les
boursiers à faire une partie de leurs études de
doctorat dans une autre province canadienne ou à l'étranger.
Julie Gagné ira donc passer un an à Paris à
l'École des hautes études en sciences sociales.
Elle se rendra également en Belgique et retournera en
République démocratique du Congo. La problématique
du deuil du passé pourrait aussi l'emmener dans d'autres
pays. "Il n'est pas impossible, souligne-t-elle, que j'élargisse
la problématique à d'autres deuils. Par exemple,
à l'Afrique du Sud où le rapport au passé
est complètement différent à cause de l'apartheid."
Une autre exigence de la Fondation porte sur l'engagement social
des boursiers. "C'est déjà mon cas d'une certaine
façon, dit-elle. En février dernier, j'ai monté,
comme bénévole et avec l'aide d'un étudiant
congolais de la Chaire de recherche, une exposition d'art congolais
au Cégep François-Xavier-Garneau. L'exposition
s'est déroulée pendant le Mois de l'Histoire des
Noirs, une activité du Cégep qui me tient beaucoup
à cur. D'ailleurs, il n'est pas impossible que je sois
impliquée dans cette activité l'an prochain."
YVON LAROSE
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