Une deuxième chance pour le Saguenay
Les inondations de 1996 auraient recouvert les
fonds contaminés d'une couche hermétique de sédiments
propres
L'idée est séduisante: recouvrir d'une épaisse
couche de sédiments propres des dizaines de kilomètres
carrés de fonds marins lourdement contaminés puis
prendre un peu de recul pour observer l'évolution des
choses. Mais, même dans ses rêves les plus fous,
le chercheur Jacques Locat, du Département de géologie
et de génie géologique, n'aurait pu imaginer qu'il
pourrait un jour réaliser une telle expérience.
D'abord, aucun organisme subventionnaire n'aurait accepté
d'aligner les dizaines de millions de dollars qu'aurait coûté
une opération de cette ampleur. Ensuite, aucun comité
d'éthique sensé ne lui aurait donné son
aval, du moins sûrement pas selon le protocole catastrophique
orchestré par le hasard. Mais lorsque tous ces obstacles
sont levés par un coup de pouce de la nature, comment
résister?
Les pluies diluviennes qui ont frappé le Saguenay en 1996
ont certes causé leur lot de souffrances humaines, mais
elles ont aussi dressé le couvert à une méga
expérience géologique inédite, a rappelé
le professeur Locat, lors du 2e Symposium international sur les
sédiments contaminés de l'American Society for
Testing and Materials, qui a attiré à Québec,
du 26 au 28 mai, près de 500 chercheurs de 26 pays.
L'après-déluge
Rappelons les faits. Du 19 au 21 juillet 1996, entre 150
et 280 mm de pluie tombent sur la région du Saguenay.
La crue des eaux et le bris d'un barrage sur la rivière
des Ha! Ha! entraînent des millions de mètres cubes
de sédiments vers le Saguenay, recouvrant, en quelques
heures, les sédiments contaminés de la baie de
Ha! Ha! d'une couche de sédiments relativement propres
dont l'épaisseur atteint plusieurs mètres près
des rives et de 10 à 40 cm au large.
Il n'a pas fallu longtemps au professeur Locat pour comprendre
l'opportunité exceptionnelle qu'offrait ce déluge.
Quelques mois plus tard, il réunit donc une équipe
multidisciplinaire de 15 chercheurs appartenant à sept
institutions, dont ses collègues Hélène
Tremblay, Rosa Galvez-Cloutier, Jean-Marie Konrad et Serge Leroueil.
Deux mois plus tard, le groupe dépose une demande de subvention
de 1,3 M$ sur cinq ans au CRSNG pour tester l'efficacité
de cette couche de sédiments comme barrière géologique
à la migration des contaminants. Dès 1997, les
chercheurs du projet Saguenay post-déluge lèvent
les voiles à bord de navires scientifiques. Au fil des
cinq années que durera le projet, plus de 40 étudiants-chercheurs
se joindront à eux pour participer à cette odyssée
scientifique.
Second début
Le bilan final des travaux, dressé par les membres
de l'équipe lors du récent symposium, a de quoi
étonner. "Après cinq années de recherche,
nous pouvons conclure que cette couche est efficace et qu'elle
devrait résister à la plupart des phénomènes
naturels, sauf à un séisme majeur de 6 et plus
à l'échelle de Richter, mais là encore les
perturbations seraient limitées", résume Jacques
Locat. Les polluants se retrouvent en quelque sorte scellés
sous la couche de sédiments déposés en 1996,
sans contact direct avec l'eau. "Plus on est près
des quais de La Baie, plus la contamination des anciens sédiments
est élevée, signale Jacques Locat. La nature fait
bien les choses parce que c'est justement là que l'épaisseur
des sédiments déposés en 1996 est la plus
grande. On parle de trois à quatre mètres à
certains endroits."
Les espèces aquatiques, éliminées dans les
jours qui ont suivi le déluge, ont rapidement recolonisé
ce milieu assaini de façon aussi soudaine que catastrophique.
Les données montrent même que les organismes qui
vivent dans les fonds marins n'atteignent pas ou évitent
l'ancienne couche contaminée, ce qui limite du coup la
possibilité d'un retour des contaminants dans la chaîne
alimentaire.
À l'instar du déluge de l'Ancien Testament, les
inondations du Saguenay viennent donc effacer les fautes passées
de cette région, attribuables en bonne partie aux alumineries.
"La couche de sédiments propres, déposée
à la suite du déluge de 1996, offre au Saguenay
la possibilité de repartir à neuf du point de vue
environnemental, estime Jacques Locat. Le déluge a apporté
une bouffée d'air pur au fjord."
Contrairement au lieu commun qui veut que toute présentation
scientifique se termine par un appel à des fonds supplémentaires
pour la poursuite des travaux, Jacques Locat ne veut pas un sou
de plus pour le projet Saguenay post-déluge. "Nous
avons répondu à toutes les questions posées
au départ. En ce qui me concerne, le projet est terminé."
JEAN HAMANN
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