
Des légionnelles plein la bouche?
L'eau des cabinets dentaires serait contaminée
par la bactérie du légionnaire
Selon une étude réalisée par une équipe
du Centre de recherche de l'Hôpital Laval, la bactérie
du légionnaire semble avoir élu domicile dans la
tubulure de bon nombre d'unités de soins dentaires. Plus
de 70 % des 15 appareils examinés par les chercheurs abritent
ce microorganisme pathogène qui attaque le système
respiratoire, a révélé Steve Dutil lors
de la Journée scientifique du Centre de recherche Hôpital
Laval, qui se déroulait au début du mois de mai.
Les travaux de l'étudiant-chercheur, supervisés
par Caroline Duchaine, du Département de biochimie et
de microbiologie, et réalisés avec la collaboration
de Christian Laflamme, Anne Mériaux et des chercheurs
Correia, Leduc et Barbeau de l'Université de Montréal,
ont mis à profit une méthode de détection
de segments d'ARN ribosomal - l'hybridation in situ en
fluorescence - pour révéler la présence
des légionelles. La méthode habituellement employée
pour détecter les bactéries - la culture sur milieu
nutritif - donnerait des résultats mitigés pour
les bactéries de l'environnement, notamment pour certaines
souches du genre Legionella, soupçonnaient les
chercheurs. "S'il n'y a aucune croissance sur milieu de
culture, on ne peut conclure pour autant que la bactérie
n'est pas présente, signale Caroline Duchaine. Il se peut
que la bactérie fonctionne au ralenti ou que le milieu
ne lui convienne pas. C'est pour cette raison que nous avons
testé d'autres méthodes pour dépister les
légionelles."
Des légionelles par légions
L'hydridation in situ a révélé
la présence de souches de légionelles dans l'eau
de 73 % des unités de soins dentaires contre 27 % avec
la méthode de culture sur milieu nutritif. "Ceci
nous laisse croire que plusieurs légionelles présentes
dans l'eau de ces unités seraient non cultivables",
conclut Steve Dutil.
La présence de légionelles dans les unités
de soins dentaires ne surprend par Caroline Duchaine outre mesure.
"Je ne m'attendais cependant pas à trouver autant,
admet-elle toutefois. De façon globale, je pense que c'est
préoccupant." La stagnation de l'eau dans la tubulure
et la faible concentration résiduelle de chlore dans l'eau
potable favoriseraient la formation d'un biofilm contenant des
microorganismes pathogènes, dont les légionelles,
dans les unités de soins dentaires. Une étude réalisée
en 1995 par le Groupe de recherche en écologie buccale
avait rapporté que ces appareils présentaient des
concentrations en bactéries qui dépassaient plusieurs
centaines de fois la norme acceptable pour l'eau potable.
Les bactéries qui se multiplient dans la tubulure de ces
unités se retrouvent éventuellement dans la bouche
des patients via la turbine (fraise), dont l'action est accompagnée
d'un jet d'eau refroidissant, ou le pistolet eau-air. Les chercheurs
s'inquiétaient de l'exposition à pareilles concentrations
de bactéries pour les individus ayant un système
immunitaire affaibli, notamment les personnes âgées,
les individus qui consomment des immunosuppresseurs et les sidatiques.
"Les personnes qui travaillent dans les cabinets dentaires
sont également exposées à ces bactéries
mises en aérosol par les traitements dentaires",
ajoute Caroline Duchaine, qui poursuit d'ailleurs des travaux
sur cette question.
La maladie des légionnaires tire son nom du fait qu'elle
a été décrite pour la première fois
à la suite du congrès de 1976 de l'American Legion
à Philadelphie. La bactérie avait alors frappé
180 des 4 500 participants et elle avait fait 29 victimes.
JEAN HAMANN
|