L'errance et le déracinement
Mobilité, identité flottante, quête existentielle:
l'écrivain Jack Kerouac avait des points communs avec
la diaspora canadienne française du continent
Peut-on faire un rapprochement entre la quête existentielle
de l'écrivain américain Jack Kerouac, au milieu
du siècle dernier à travers les États-Unis,
et la formidable dispersion des Canadiens français, au
fil des siècles, sur le continent nord-américain?
Le lundi 26 mai, au pavillon Palasis-Prince, Alexandre Germain,
étudiant de premier cycle en géographie, a tenté
de répondre à cette question dans le cadre du colloque
"Quatre siècles de francophonie et d'échanges
Europe-Afrique-Amérique". Sa communication avait
pour titre: "L'identité enfouie d'un franco en terre
d'Amérique: réflexions suscitées par la
lecture de Jack Kerouac". "Comme nombre de ses ancêtres
canadiens français, explique Alexandre Germain, Kerouac
a choisi le départ pour sortir de l'impasse dans laquelle
il était retenu. Autrefois, les contraintes du sol ou
du clergé, l'attrait des ressources économiques
ou des espaces vierges ont inculqué aux Canadiens français
l'esprit de la mobilité. Aujourd'hui, l'incapacité
de se définir une identité en lien avec le territoire
entraîne les personnalités sensibles de ce monde
dans une quête de liberté géographique toute
à l'image de notre histoire."
Du "Petit Canada" aux routes de l'Amérique
Jean-Louis (ou Jack comme il s'appellera plus tard) Kerouac
est né en 1922 à Lowell, une petite ville de la
Nouvelle-Angleterre. Ses parents Léo et Gabrielle sont
d'origine canadienne française et habitent dans un quartier
également canadien français. Après avoir
exercé divers métiers, Jack se met à l'écriture.
En 1957, il publie Sur la route. Ce roman, qui le rend
célèbre, véhicule le message antimatérialiste
du mouvement beatnik (rejet de l'american way of life,
refus de la réussite, glorification de l'errance, rébellion
contre l'autorité, etc.). En 1959, Maggie Cassidy,
un livre écrit quelques années auparavant par Kerouac,
est publié. Ce roman sur la découverte de l'amour
est inspiré de l'adolescence du chantre de la Beat
Generation. L'auteur y aborde les thèmes de la mélancolie,
du remord, de l'ethnicité et du rêve américain.
"Ces thèmes doivent être mis en parallèle
avec d'autres thèmes devenus concepts de la géographie
des Canadiens français en Amérique, soutient Alexandre
Germain: mobilité, errance, mouvance, diaspora, intégration,
assimilation et identité collective."
Ces Canadiens errants
Alexandre Germain qualifie d'"épopée tragique"
le parcours effréné de Jack Kerouac, parcours qui
s'est terminé prématurément en 1969. "Il
a grandi sans repères familiers, sans lieux sûrs,
comme un homme déraciné", indique-t-il. Dans
ses pérégrinations, Kerouac le solitaire a cherché
en vain un chez soi, confronté qu'il était à
sa double identité, la canadienne et l'américaine.
Dans une lettre écrite en 1950, il se disait renversé
par le sentiment d'un terrible déracinement (horrible
homelessness) qu'il observait chez les Canadiens français
vivant aux États-Unis. Alexandre Germain croit que le
parcours de Jack Kerouac rappelle, sur le plan symbolique, celui
des francophones en Amérique. Selon lui, la diaspora canadienne
française a eu comme mère patrie un territoire
indéfini aux frontières mouvantes et intangibles.
Cette diaspora s'est donc forgé une identité flottante
dans une culture de mobilité où la famille assurait
la continuité. "Les Canadiens français en
tant que groupe ethnique aux États-Unis n'ont pas le même
rapport à la mère patrie que les autres groupes
qui les compose, explique-t-il. Ils sont d'un pays sans bornes,
à la source d'une Amérique qu'ils ont façonnée,
mais dans laquelle ils ne peuvent pas toujours se reconnaître."
YVON LAROSE
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