Requiem pour crosses de violon
Pour maintenir les populations sauvages de cette fougère,
les cueilleurs devront suivre le rythme dicté par la nature
Les cueilleurs de crosses de violon devront faire montre de retenue
pour que cette fougère sauvage ne connaisse pas le même
sort que l'ail des bois. En effet, selon une étude réalisée
par la professeure Line Lapointe et l'étudiant-chercheur
Michel E. Bergeron, du Département de biologie, tout prélèvement
de plus de 50 % des frondes d'une même fougère a
une incidence sur la survie de la plante. Les deux chercheurs
arrivent à cette conclusion au terme d'une étude
de cinq ans au cours de laquelle ils ont testé l'impact
de différentes intensités de défoliation
sur l'accumulation de réserves nutritives et sur la survie
des fougères.
Les crosses ou têtes de violon sont de jeunes frondes (feuilles)
encore recroquevillées de la fougère-à-l'autruche,
dont la forme rappelle l'extrémité d'un manche
de violon. Cette plante vivace produit annuellement entre 4 et
8 frondes, disposées en couronne. Cueillies pendant une
très courte période au printemps, elles font les
délices des amateurs de produits du terroir, mais l'envers
de l'assiette est que la demande croissante pour ce produit crée
une pression sur les populations sauvages de cette espèce.
Au Québec, plus de 70 000 kg de fougère-à-l'autruche
fraîche trouvent preneur chaque printemps. Les données
sur la récolte dans les autres provinces sont maigres,
mais McCain produit annuellement 34 000 kg de fougères
surgelées, récoltées essentiellement du
Nouveau-Brunswick.
"La demande pour les crosses de violon augmente continuellement,
au point où certains examinent la possibilité d'en
faire la culture afin d'augmenter la productivité et d'éviter
la surexploitation des populations naturelles", signale
Line Lapointe. Les essais de culture intensive, qu'elle a menés
sur un site de la région de Nicolet, ont donné
des résultats mi-figue, mi-raisin. La fougère-à-l'autruche
tolère bien la transplantation, mais elle est très
sensible aux gels tardifs, au manque d'eau et au vent, précise-t-elle.
"Sa culture semble possible mais exigeante et coûteuse
et la rentabilité financière d'une telle opération
reste à démontrer. Il serait sans doute préférable
d'aménager des terres privées où la fougère-à-l'autruche
est déjà abondante et vigoureuse, en coupant un
certain nombre d'arbres matures afin d'augmenter la quantité
de lumière qui parvient aux couronnes durant l'été.
Cette approche nous semble de loin la moins coûteuse."
Au Québec, aucune législation ne limite pour l'instant
l'intensité et la fréquence de la cueillette des
crosses de violon. "La cueillette intensive pourrait rapidement
mettre en péril plusieurs populations naturelles de fougère-à-l'autruche,
prévient Line Lapointe. Les cueilleurs devraient se discipliner
eux-mêmes et prélever, au maximum, entre le tiers
et la moitié des frondes de chaque plante s'ils veulent
assurer l'utilisation durable de cette ressource."
JEAN HAMANN
|