Toponymiste en Nouvelle-France
Champlain est passé à l'histoire
comme l'un des plus importants créateurs de noms de lieux
d'Amérique du Nord
Pour Christian Morissonneau, professeur au Département
des sciences humaines de l'Université du Québec
à Trois-Rivières et ancien commissaire de la Commission
de toponymie du Québec, Samuel de Champlain, cet explorateur
et colonisateur français mort à Québec en
1635, fut un géographe remarquable. "Qui peut se
comparer en termes d'écrits, de dessins et de cartes à
Champlain? demande-t-il. Il faudra deux siècles au Québec
pour avoir quelqu'un de comparable. Avec plus de 330 toponymes,
Champlain a sans doute été le plus grand créateur
de noms de lieux français et l'un des plus importants
toponymistes du continent."
Le mercredi 28 mai, au pavillon Palasis-Prince, Christian Morissonneau
donnait une conférence lors du colloque "Quatre siècles
de francophonie et d'échanges Europe-Afrique-Amérique".
Selon lui, Champlain a passablement emprunté aux autochtones
(9 % de ses toponymes) et pas mal moins à ses prédécesseurs.
De Jacques Cartier, il a entre autres repris les toponymes "Île
aux Coudres" et "Île aux Lièvres".
Champlain a aussi ajouté des noms de lieux qui évoquent
la faune ou la flore. D'autres toponymes de son cru sont soit
commémoratifs, soit dédicatoires. C'est le cas
du lac Saint-Pierre, ainsi nommé parce que Champlain l'a
découvert le jour du martyre du saint en question.
Un toponyme à succès
Selon le conférencier, Champlain porte la responsabilité
du succès historique, culturel, voire politique du toponyme
"Québec", un mot algonquien qui aujourd'hui
désigne aussi bien une ville et une province qu'une identité
collective. "Cela est d'autant plus émouvant que
ce nom au 17e siècle ne devait pas être très
ancien dans l'inconscient indigène, souligne Christian
Morissonneau. Une ou deux générations plus tôt,
l'endroit portait un toponyme iroquoien: Stadacona ou Stadaconé."
Chez Champlain, le tiers des toponymes sont descriptifs. Environ
70 années avant lui, Cartier en avait utilisé trois
fois moins en pourcentage. Une différence aussi marquée
s'observe également avec les noms de saints. Champlain
en utilisait la moitié moins en pourcentage (35 %) que
son illustre prédécesseur (75 %). "Il s'agit
peut-être là comme d'une trace indirecte de la naissance
protestante dite hypothétique de Champlain, avance le
conférencier. Même converti au catholicisme, les
noms de saints ne lui viennent pas spontanément à
la bouche autant que chez Cartier."
Christian Morissonneau rappelle qu'à l'époque de
la Nouvelle-France, les toponymes français couvraient
un bon tiers du continent nord-américain. "De la
vallée du Saint-Laurent aux bayous de la Louisiane, des
Rocheuses à Saint-Louis du Missouri, il fut un temps où
les Grands Lacs portaient tous un nom français, indique-t-il.
Il est quand même émouvant aujourd'hui, quand vous
êtes dans le Wyoming sur la rivière Plate, d'arriver
au massif des Grands Tétons dans les Rocheuses. Et la
rivière Yellowstone? Elle s'appelait auparavant "rivière
de la Roche jaune". J'ai par ailleurs un faible pour le
toponyme "Talle de Saules", une municipalité
de la Saskatchewan aujourd'hui appelée Willow Bunch."
Une importante contribution
Plusieurs peuples autochtones, dont les Innus-Montagnais,
les Abénakis et les Micmacs, ont contribué au patrimoine
toponymique québécois. Employés oralement,
des milliers de noms de lieux autochtones ont été
empruntés par les Français. Yamaska, Kamouraska
et Coaticook sont des exemples de ces toponymes retranscrits
dans une orthographe souvent approximative. "Tous les toponymes
autochtones ont été transcrits, jusqu'au début
du 20e siècle, selon les normes de la langue d'emprunt,
explique Christian Morissonneau. Par exemple, Mascouche a été
transcrit à la française et Natashquan a été
transcrit à l'anglaise."
YVON LAROSE
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