Faust à l'université?
La nouvelle réalité économique remettrait
en question l'éthique et la transmission des savoirs dans
les facultés à vocation scientifique
Intervenants, obligation de résultats, diligence, processus
de valorisation, partenariat et propriété intellectuelle:
les chercheurs universitaires, en particulier ceux des facultés
des sciences de la santé, sont, au dire de Michel Bergeron,
confrontés à un nouvel environnement qui n'est
pas sans évoquer le Faust de Goethe. Dans cette
tragédie, le docteur Faust signe un pacte avec le diable
par lequel il troque son âme pour la jeunesse éternelle.
Transposant la légende à la recherche universitaire
d'aujourd'hui, le professeur titulaire au Département
de physiologie de l'Université de Montréal et directeur
de la revue Médecine/Sciences estime que les chercheurs
universitaires n'ont d'autre choix que de s'adapter à
cette réalité, tout en posant leurs conditions.
Le vendredi 11 avril, Michel Bergeron était conférencier
au pavillon La Laurentienne dans le cadre du colloque "La
production et la transmission du savoir - le destin de l'université
au 21e siècle". Cette activité était
au programme du Mois des science humaines et des sciences sociales
des Grandes Fêtes de l'Université. Si des professeurs,
en particulier des chercheurs-entrepreneurs, ont été
accusés d'avoir vendu leur âme au diable en sacrifiant
leurs idéaux universitaires, Michel Bergeron ne croit
pas que l'institution universitaire ait trahi sa mission pour
autant. "S'agit-il de marchés faustiens?, demande-t-il.
Pas nécessairement, si les conditions de propriété
intellectuelle sont claires et si les règles d'éthique
de l'institution sont respectées."
Une source de préoccupation
Le conférencier qualifie de "pas toujours angélique"
l'agitation qui a cours dans les universités en regard
des applications commerciales des résultats de recherche.
Il rappelle que les universités ont en partie donné
naissance à la nouvelle économie du savoir. Selon
lui, celle-ci n'aurait pas modifié les valeurs fondamentales
des facultés à vocation scientifique. "Le
rôle des chercheurs et cliniciens universitaires, entre
autres, demeure toujours celui de construire et de transmettre
le savoir, de pratiquer la rigueur intellectuelle et l'esprit
critique", souligne Michel Bergeron.
Selon lui, le diable aurait "infiltré" deux
missions essentielles de l'institution universitaire. L'une d'elles,
qui consiste à dire le vrai et le faux et d'en dégager
les considérations éthiques, a été
au centre d'une grande controverse il y a quelques mois. "L'innommable
fraude raëlienne du premier clonage humain nous indique
de façon indubitable que le devoir de tout chercheur,
a fortiori du chercheur universitaire, est celui de la
rigueur intellectuelle", affirme Michel Bergeron.
Problèmes de transmission
La transmission des savoirs serait l'autre mission universitaire
infiltrée par le diable. Les professionnels de la santé
doivent pouvoir mettre à jour leurs connaissances afin
d'exercer un jugement critique à l'égard des nouveaux
produits. Or, les gouvernements et les universités se
sont désengagés financièrement du domaine
de la formation continue de ces praticiens. Et les compagnies
pharmaceutiques ont comblé le vide. "On pourrait
certainement accuser certaines de ces sociétés
de suivre servilement les canons et les règles de la publicité,
dont certaines sont inacceptables par leur côté
"racoleur", explique le conférencier.
Depuis des décennies, les chercheurs en sciences et les
universités cèdent consciemment aux éditeurs
de revues savantes les droits d'auteur sur leurs résultats
de recherche. Cet autre marché faustien, précise
Michel Bergeron,s'appuie sur une mécanique complexe qui
fait en sorte que le financement public, déjà très
présent, doit à nouveau intervenir, cette fois
pour financer l'abonnement, donc la lecture desdits résultats,
après avoir assumé, sous différentes formes,
toutes les étapes de ladite recherche (salaires, équipement,
révision du manuscrit, coût de publication, archivage).
YVON LAROSE
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