À l'auberge de l'oiseau noir
Au printemps, le campus abrite un important
dortoir d'oiseaux
"Chambres à louer, pas chauffées, pas éclairées
avec vue imprenable sur l'autoroute Du Vallon. Voisins très
bruyants." Pareille offre vous laisse sans doute froid,
mais les centaines d'oiseaux qui y répondent chaque soir
y trouvent leur compte. Depuis quelques semaines, c'est par centaines
- voire par milliers - que des bandes de carouges, de quiscales,
de vachers et d'étourneaux convergent vers le jardin communautaire
de l'Université pour y passer la nuit.
Au crépuscule, ils arrivent de toutes les directions,
vont se percher dans les grands feuillus du jardin et, pendant
plusieurs minutes, chantent à tue-tête sur tous
les tons. Lorsque le soleil se couche, ils regagnent, par vagues,
le dortoir situé dans la plantation de conifères
qui borde l'autoroute Du Vallon où, à l'abri des
regards indiscrets, ils se regroupent pour la nuit tout en poursuivant
leurs piaillements. Dès les premières lueurs du
jour, ils quittent leur refuge pour aller glaner leur pitance.
Il y a trois semaines, Olivier Barden, un ornithologue amateur
de la région, y a dénombré, en une seule
soirée, 1045 quiscales bronzés, 1000 étourneaux
sansonnets, 960 carouges à épaulettes, 100 vachers
à tête brune et 3 quiscales rouilleux! "Peu
de dortoirs fixes sont connus dans la région et, de plus,
pratiquement personne ne s'est adonné à y dénombrer
les oiseaux, précise-t-il. Le dortoir du jardin est sans
doute le plus gros dortoir printanier d'"oiseaux noirs"
que l'on connaît dans la région de Québec."
L'accueil des pins rouges
Nul ne sait exactement depuis quand ce dortoir a ouvert ses
portes, mais Olivier Barden a noté sa présence
pour la première fois en avril 1999. Denis Verge, technicien
au Département des sciences du bois et de la forêt
et auteur d'un inventaire des boisés du campus, signale
que le Service des immeubles a planté les pins rouges
et les épinettes blanches qui forment le dortoir entre
1995 et 1998.
Ces conifères mettent les oiseaux à l'abri des
vents et des intempéries, ce qui réduit l'énergie
qu'ils doivent dépenser pour maintenir leur température
corporelle pendant la nuit, signale l'ornithologue André
Desrochers, professeur au Département des sciences du
bois et de la forêt. "Ces arbres les cachent également
d'éventuels prédateurs. Certains chercheurs ont
aussi avancé que les dortoirs servent de centres d'échange
d'informations entre les oiseaux."
Symbole de l'étonnant opportunisme des oiseaux noirs qui
tirent le maximum des ressources que la ville leur offre, ces
grands rassemblements nocturnes sont aussi le reflet éloquent
"d'une société qui parvient mal à gérer
ses déchets", avance Marcel Darveau, attaché
de recherche au Département des sciences du bois et de
la forêt et ornithologue avisé. En effet, les effectifs
de ces populations d'oiseaux augmentent parce qu'ils se nourrissent
de tout ce qui leur tombe sous le bec et que les déchets
abondent dans nos villes. Certaines de ces espèces causent
des dégâts importants aux récoltes, elles
se nourrissent des oeufs de merles et de tourterelles et elles
prennent la place d'autres espèces d'oiseaux, souligne-t-il.
De tous ces tristes sires de noir vêtus, l'étourneau
sansonnet est celui qui a la plus mauvaise réputation.
On l'accuse de chasser les oiseaux indigènes de leurs
sites de nidification et son omniprésence aurait causé
une baisse de la diversité des oiseaux en milieu urbain.
JEAN HAMANN
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