Découvrir en français, yes sir!
Le vocabulaire scientifique constitue aussi une façon
de s'approprier le monde
Difficile d'aborder le thème de l'avenir de la recherche
scientifique francophone sans nécessairement évoquer
la prédominance de l'anglais dans ce domaine. Loin d'énoncer
des idées reçues sur ce sujet, les participants
à la récente Chaire publique de l'Association des
étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux
études supérieures (AELIÉS) ont réussi
à apporter des éléments neufs au débat
en abordant la situation actuelle sous un angle qui change de
l'éternel discours fataliste sur la disparition des langues
nationales en sciences.
Ce n'est un secret pour personne, les chercheurs doivent absolument
publier en anglais s'ils souhaitent voir leurs travaux bénéficier
d'une quelconque reconnaissance. Cependant, les autres langues
de la planète n'ont pas dit leur dernier mot, en particulier
pour les publications sur Internet. "On observe une forte
progression de l'espagnol, du français, du portugais ou
du ourdou, très utilisé en Inde, dans les moteurs
de recherche scientifiques depuis cinq ans", souligne Michèle
Gendreau Massalou, rectrice de l'Agence universitaire de la francophonie,
une organisation qui regroupe plus de 450 universités
à travers le monde. Ce type de publication virtuelle qui
nécessite moins de capitaux que les revues sur papier
permet donc une certaine diversité linguistique. La rectrice
de l'AUF constate, par ailleurs, que les chercheurs francophones
ont un certain avantage sur leurs collègues qui ne publient
qu'en anglais lorsqu'ils briguent un poste.
"J'ai constaté que des Africains francophones avaient
récemment obtenu des emplois dans des centres de recherche
du Nord de l'Europe, car ils disposaient d'un petit plus sur
d'autres candidats qui n'avaient publié qu'en anglais",
raconte Michèle Gendreau Massalou. Tout en reconnaissant
l'importance de l'anglais comme véhicule de communication,
elle constate que la pensée des chercheurs élaborant
des concepts reste étroitement liée à leur
langue d'origine. À tel point que leurs étudiants
doivent souvent s'exprimer dans cette langue-là, s'ils
veulent suivre le raisonnement de l'enseignant, même si
ce dernier enseigne à l'étranger en anglais.
Joël de la Noüe, président de la Commission
de la recherche de l'Université Laval, abonde dans le
même sens en soulignant que le vocabulaire scientifique
constitue aussi une façon de s'approprier le monde. "Je
constate une certaine francisation de la langue scientifique
depuis trente ans, ce qui montre que le français n'est
pas une langue figée, dit-il. Il faut donc préparer
l'avenir en convainquant le reste du monde que les francophones
peuvent faire de la recherche et accueillir des scientifiques
d'ailleurs."
Raymond Leblanc, vice-recteur à la recherche à
l'Université Laval, partage la confiance de son collègue
en la capacité du français d'élaborer des
concepts scientifiques. Par contre, il se montre plus pessimiste
sur l'avenir de la recherche à l'université. "J'ai
l'impression qu'on a oublié l'objectif de la recherche
universitaire qui doit avant tout assurer une formation adéquate
aux étudiants", remarque Raymond Leblanc. Il constate
en effet qu'il devient de plus en plus difficile pour les chercheurs
d'obtenir du financement pour mener à bien leurs travaux.
En effet, les organismes subventionnaires exigent désormais
que les résultats des recherches contribuent à
la transformation des technologies ou de la société.
De plus, les équipes de recherche doivent souvent trouver
un partenaire privé afin d'obtenir un financement public.
Qu'elle se fasse en anglais ou en français, la recherche
universitaire semblerait donc éprouver de sérieuses
difficultés à tout simplement se développer.
PASCALE GUÉRICOLAS
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