Nos amis les animaux?
La croisade menée par les défenseurs des droits
des animaux s'est déplacée du laboratoire à
la ferme
"Qu'on discute de n'importe quel aspect de la production
laitière - techniques de reproduction, conditions
d'élevage, utilisation d'hormone de croissance bovine
- , dès qu'est avancé l'argument du bien-être
animal, c'est tout le débat philosophique sur notre relation
avec les animaux qui se cache derrière chacune des affirmations
qui sont faites. Chaque geste que nous posons à l'endroit
des animaux reflète une conception de cette relation et
c'est pourquoi l'éthique sur le plancher des vaches est
loin d'être simple", a soutenu Lyne Létourneau,
professeure au Département des sciences animales et membre
du Centre de recherche en biologie de la reproduction (CRBR),
lors d'une conférence présentée le 11 avril
devant les membres du Centre de recherche en sciences et technologie
du lait.
Avocate de formation et spécialiste des questions éthiques
et juridiques entourant l'utilisation et la manipulation génétique
des animaux, Lyne Létourneau a résumé, au
profit de son auditoire, les grands courants de pensée
qui s'affrontent présentement sur le front de l'éthique
animale. D'une part, le camp des anthropocentristes - qui appuie
sa réflexion sur le principe de la supériorité
de l'homme sur l'animal - soutient que les intérêts
des êtres humains sont moralement plus importants que ceux
des animaux. Il en résulte que les êtres humains
sont moralement justifiés d'utiliser les animaux pour
leurs fins et leurs besoins, dans la mesure où les bêtes
bénéficient d'un traitement humanitaire et qu'elles
ne souffrent pas inutilement.
L'autre camp - le zoocentrisme - regroupe deux factions
qui accordent plus de poids aux intérêts moraux
des animaux. La première école, celle des utilitaristes,
étend le principe d'égalité à tous
les êtres vivants capables de souffrir, a expliqué
la chercheure. "L'utilitarisme enseigne qu'on doit toujours
agir de manière à promouvoir le plus grand bien
possible pour tous les individus dont les intérêts
sont susceptibles d'être affectés par une action
ou une règle de conduite. Parce que les animaux sont capables
de souffrir, ils ont des intérêts et ces intérêts
doivent être considérés dans la balance des
conséquences. La douleur causée à un animal
ne doit pas moins compter que la douleur causée à
un être humain parce que de la douleur, c'est de la douleur,
peu importe qui la ressent." L'utilisation des animaux sera
donc autorisée s'il en découle un plus grand bien
pour un plus grand nombre d'individus et si, dans la balance
des conséquences, les intérêts des animaux
ont compté autant que les intérêts similaires
des êtres humains.
Végétarisme moral
Pour les zoocentristes radicaux regroupés à
l'enseigne des droits des animaux, le courant utilitariste ne
va pas assez loin. Tom Regan, le pape de cette doctrine, juge
que les êtres humains bénéficient de droits
moraux (liberté, intégrité physique, etc.)
en raison de leur valeur intrinsèque qui leur vient du
fait qu'ils sont le "sujet d'une vie". Comme les animaux
aussi sont les "sujets d'une vie", ils possèdent
une valeur intrinsèque qui leur confère des droits
moraux. "On ne peut donc sacrifier un animal pour le plus
grand bénéfice des autres ni traiter un être
vivant comme une ressource renouvelable, interprète Lyne
Létourneau. Il s'agit d'une théorie abolitionniste
qui condamne toutes les formes institutionnalisées d'utilisation
des animaux, peu importe les conditions dans lesquelles cette
utilisation a lieu." Cette forme de "végétarisme
moral" érige autour de l'animal un périmètre
de protection difficile à franchir, reconnaît-elle.
Après avoir concentré leur action sur les animaux
de laboratoire, les mouvements des droits des animaux s'intéressent
depuis dix ans à la production agro-alimentaire, ce qui
place la question du bien-être animal au cur des débats.
"Mesurer le bien-être d'un animal n'est pas évident
et en plus, il nous faut décider en leur nom. Cette question
lance un défi à toute la philosophie morale."
La chercheure constate que les accords internationaux rendent
les revendications portant sur le bien-être animal de plus
en plus difficiles à appliquer. "Le bien-être
animal est vu comme un obstacle au commerce, ce qui donne lieu
à un débat très intéressant à
suivre."
"Il n'existe pas encore de vérité avec un
grand V en éthique des animaux, insiste la chercheure.
Il nous reste encore à définir ce qui est acceptable
et où se situent les limites à l'utilisation qu'on
peut faire des animaux." Cette réflexion est impérieuse
parce que, "malgré l'essor des biotechnologies, l'activité
domesticatoire des humains sur les animaux se poursuivra et même
s'accentuera au cours des prochaines années", prédit-elle.
JEAN HAMANN
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